Le pays, incapable de subvenir aux besoins énergétiques de sa population, se rêve en acteur du marché des hydrocarbures. Mais un imbroglio avec Israël retarde les explorations offshore
Sur l’échiquier gazier de la Méditerrannée orientale, le Liban est un pion un peu à part. Depuis les études sismiques prometteuses menées dans les années 2000, le pays se rêve en acteur du marché des hydrocarbures, les coffres ruisselant de gazo-dollars. Mais au grand dam des élites politiques locales, les explorations menées risquent de ne jamais se concrétiser. En avril, le consortium en charge de l’exploration du littoral, emmené par Total et comprenant ENI et le russe Novatek, a déclaré que du gaz avait été trouvé dans la première zone de forage, le bloc 4, situé en face de Byblos, à 40 km au nord de Beyrouth, mais pas en quantité suffisante pour être commercialisé. Quant au second secteur où les chances de découverte sont censées être élevées, le bloc 9, situé en face de Tyr, dans le sud du pays, un imbroglio géopolitique y gêne le démarrage des recherches.
Israël, avec lequel le Liban est toujours techniquement en état de guerre, affirme que 8 % de cette aire empiète sur sa zone économique exclusive (ZEE). L’absence de démarcation précise des frontières maritimes entre les deux pays a jusque-là empêché de trancher le litige. En dépit d’une médiation américaine, les deux parties ne se sont toujours pas mises d’accord sur les paramètres de la négociation.
Gebran Bassil, le chef du Courant patriotique libre – la principale formation chrétienne –, qui fait de la découverte de gaz une affaire quasi personnelle, pousse à un arrangement. Mais le puissant parti chiite Amal exige d’inclure les frontières terrestres dans la discussion, y compris le dossier très sensible des fermes de Chebaa, une zone encore occupée par Israël. Le mouvement Hezbollah, l’autre pôle chiite libanais, acteur de la guerre de 2006 contre l’Etat hébreu, freine aussi le projet de peur qu’une délimitation des frontières maritimes ne soit perçue comme une reconnaissance de sa part de l’existence d’Israël.
Trouver du gaz : une bonne affaire… sur le papier
« Il est compliqué de lancer des forages dans le bloc 9 en l’absence d’accord, explique Laury Haytayan, spécialiste de la géopolitique des hydrocarbures à l’université américaine de Beyrouth. Si le consortium venait à y trouver du gaz, les Israéliens pourraient demander à vérifier qu’il ne vient pas d’un gisement commun et exiger l’arrêt de l’exploration. » La méga-explosion survenue le 4 août sur le port de Beyrouth, qui a endommagé des équipements de Total, a aussi ralenti le travail de prospection.
Sur le papier, une découverte d’ampleur ferait l’affaire du Liban. Le plan de réforme de son secteur électrique, toujours incapable, trente ans après la fin de la guerre civile (1975-1990), de satisfaire les besoins de la population, prévoit la construction de plusieurs centrales à gaz. Mais, là aussi, le coût très élevé de l’extraction en haute mer, comparé à la faiblesse du cours sur le marché international, pose question.
Pour l’instant, Beyrouth observe la montée des tensions en Méditerranée orientale de l’extérieur. Le Liban a refusé de rejoindre le forum gazier en raison de la participation d’Israël. Dans les prochains mois, le consortium décidera s’il poursuit ses travaux ou s’il arrête les frais. Compte tenu de la situation du marché et du pays, l’octroi de nouvelles licences d’exploration, repoussé à la fin 2021, paraît peu probable. « Il n’y aura pas de miracle gazier au Liban, prédit Laury Haytayan. Avec tous nos problèmes, la meilleure chose qui pourrait nous arriver serait que l’on ne trouve jamais de gaz au Liban. »