Ardechir Amir Arjomand, proche de l’opposant Moussavi, détaille la politique de provocation du président iranien.
Par JEAN-PIERRE PERRIN
En charge des affaires juridiques, Ardechir Amir Arjomand est l’un des principaux conseillers de Mir Hossein Moussavi, le leader de l’opposition au président Mahmoud Ahmadinejad. Averti de l’imminence de son arrestation, cet ex-directeur du Centre iranien des droits de l’homme et titulaire de la chaire Unesco des droits de l’homme et de la paix a réussi, il y a quelques mois, à s’enfuir clandestinement d’Iran. Il avait déjà été détenu une dizaine de jours au lendemain de la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad. A l’heure où le président iranien triomphe en défiant l’Etat hébreu depuis la frontière libanaise, où il semble dominer ses rivaux conservateurs et où l’opposition – le «mouvement vert» – a été terrassée par la répression, Ardechir Amir Arjomand analyse sa politique.
Dans quelle situation se trouve Mir Hossein Moussavi ?
Il est toujours chez lui et peut sortir. Mais son chef de cabinet a été arrêté et, lors d’une perquisition, on a saisi ses ordinateurs et des livres. Mais il est toujours en contact avec les gens. Ce qui gêne le pouvoir, c’est qu’ils n’ont pas réussi à l’intimider. Mais le mouvement vert a reçu un coup. Ses partisans n’osent plus descendre dans la rue… C’est tout le peuple qui a reçu un coup. A présent, tout le monde est sans illusion. On ne pensait pas qu’ils [les dirigeants iraniens, ndlr]seraient prêts à franchir un tel pas. Quant au mouvement, sa particularité est d’être décentralisé. Etant donné la répression très forte dont il fait l’objet, il n’a pas cherché à avoir une structure classique. Ses réseaux sociaux ont l’expérience de la survie. Il n’est donc pas possible pour le pouvoir de le supprimer.
La politique d’Ahmadinejad est déroutante. Comment l’analysez-vous ?
Il n’a pas de politique cohérente. Il cherche avant tout à attirer l’attention. A l’intérieur, il veut rester à la une. Un coup, il va tenir des propos islamistes, prôner un islam violent et intolérant. Un autre coup, des slogans populistes. On l’a vu chercher à mobiliser les voyous avec des propos indignes d’un président. Ahmadinejad salit vraiment tout. En fait, il profite des malheurs des autres. Il distribue l’argent aux pauvres en leur disant : «C’est moi qui vous le donne.» On n’avait jamais vu un tel archaïsme. Cette politique despotique n’a que des effets négatifs. Pour avoir son soutien politique, il a par exemple ouvert les portes de notre économie à la Chine, ce qui a détruit des secteurs entiers, la chaussure, le textile… Et une grande partie des importations, environ 70%, sont entre les mains des pasdaran, les Gardiens de la révolution. C’est pourquoi ils représentent une puissance économique très forte. Ils n’ont plus besoin du bazar. Et avec ce que l’augmentation des prix du pétrole a rapporté à l’Iran, imaginez ce qu’ils ont gagné !
Sur le plan nucléaire, Ahmadinejad affirme que l’Iran ne poursuit qu’un programme civil…
Nous souhaitons que cela soit vrai. Nous demandons qu’il mène une politique responsable. Quand il dit que l’Iran va enrichir l’uranium à 20%, 30% ou plus, il cherche à provoquer la communauté internationale par des gestes qui n’ont une portée que sur le plan intérieur. Sa politique n’a pas de base raisonnable. Une fois, il blesse la communauté internationale, une autre fois, il demande des négociations. Sans cesse, il entre dans des aventures qui lui profitent personnellement. Idem pour les relations avec les Etats-Unis. Il y a quelques années, le Parlement iranien a adopté une loi selon laquelle de telles relations sont un crime. Mais Ahmadinejad a proposé à plusieurs reprises de négocier avec Washington sans que le peuple soit au courant.
Et avec Israël ?
Avec les slogans qu’il lance sans fondement, Ahmadinejad sert la cause israélienne. Car cela affaiblit l’Iran, et un Iran faible et divisé n’est pas dans l’intérêt des Palestiniens. Il le fait pour acquérir le soutien de la population arabe. On l’a déjà entendu dire : «Quand j’entends les mots de démocratie et de droits de l’homme, j’ai envie de vomir.» Comment peut-il alors demander un referendum dans les Territoires occupés ? Pourquoi cette visite au Liban ? Il veut montrer qu’il est populaire dans le monde arabe alors qu’il est discrédité sur le plan national. Cela s’adresse à ses rivaux en Iran, et aussi aux Américains. Il leur signifie : «Il faut compter avec moi et négocier.»
Que prône le mouvement vert ?
Nous sommes pacifistes, partisans du pluralisme et du respect des droits de l’homme, et nous nous plaçons toujours dans le cadre de la Constitution islamique. Avec Moussavi, nous avons franchi un pas important : toutes ses déclarations sont faites au nom des droits de l’homme et, pour la première fois [dans l’histoire de la République islamique], il a annoncé que la légitimé du pouvoir vient directement du peuple.
Vous demandez toujours des commissions d’enquête…
Oui. Ahmadinejad vient de demander la création d’un comité sur les attentats du 11 septembre 2001. Très bien : tout le monde a le droit de savoir ce qu’il s’est vraiment passé. Mais la vérité ne se limite pas au seul 11 Septembre. C’est pourquoi nous avons demandé la création d’un comité indépendant pour vérifier les résultats du scrutin présidentiel. Mais ils n’ont pas accepté. Pareil pour le comité concernant la véracité des accusations sur la disparition de manifestants, les violences, les tortures, les viols. Prenons l’exemple de Taraneh Moussavi, une très jolie fille, que l’on dit avoir été arrêtée pendant les manifestations, violée, puis brûlée. Ils [les services secrets iraniens]ont monté une opération secrète pour supprimer tous les éléments relatifs à cette affaire. Mais j’ai personnellement rencontré quelqu’un qui a vu Taraneh en prison, à Abassabad [un quartier de Téhéran]. Je crois à ce témoignage. Il y a donc suffisamment d’éléments pour qu’on puisse ouvrir une enquête.
Quels souvenirs gardez-vous des manifestations qui ont suivi la réélection d’Ahmadinejad ?
J’ai vu des bassidji [miliciens]qui tiraient des rafales depuis le toit des immeubles sur la foule. Ils tiraient pour tuer. Et puis, ils avaient des armes incroyables, des sabres, des coups de poing américains…
Pourtant, vous prônez toujours le dialogue…
Oui. Nous pensons que les gens qui veulent soutenir Ahmadinejad le peuvent et nous voulons dialoguer avec eux. L’unité du pays doit être reconstruite. Mais nous ne voulons pas de négociations secrètes. Il faut que tout soit transparent.
Quel est le projet politique du pouvoir iranien ?
Ceux qui sont au pouvoir veulent étatiser la religion. Il y a un grand projet en cours pour étatiser le clergé, les waqfs[les biens de mainmorte administrés par les religieux]. Avec de grands moyens financiers pour cela. Or, de tout temps, le clergé chiite était une institution non gouvernementale, indépendante. Mais ils ne veulent rien laisser leur échapper. Ils veulent supprimer l’espace publique non étatique. Il y a une lutte féroce au sommet.
Pour des raisons idéologiques?
Pour des intérêts économiques. La part de l’idéologie est très faible. Le Guide suprême, Ahmadinejad, les pasdaran ont des intérêts communs mais aussi divergents.