Voilà à quoi nous sommes réduits. À un peuple qu’on achète pour « rien », parce que le Libanais accepterait de travailler pour quelques billets verts, des dizaines, pas des centaines, ne vous trompez surtout pas.
Mais ce sont ces « moins-que-rien», incultes, criminels, voleurs, voyous, vulgaires et odieux personnages – élus par ce peuple qui est aujourd’hui à l’agonie- qui tirent les ficelles. Après avoir pillé le pays, violé sa faune et sa flore, asséché et pollué ses lacs et sa bleue Méditerranée, racketté ses habitants, mis à sec les dépôts bancaires, refusé toutes solutions à une crise économique sans précédent dans le monde pour un si petit pays, si lesdites solutions ne leur permettaient pas de se servir grassement au passage. Des dirigeants qui laissent le peuple mourir de faim et de maladie. Ils le condamnent à une longue et douloureuse agonie dans un pays qui est désormais privé de tout, depuis les médicaments jusqu’aux produits alimentaires de première nécessité.
Dans ce camp de concentration de 10 452 km2, on ne peut même pas circuler faute d’essence. On ne peut pas s’éclairer, faute de mazout. On ne peut pas se permettre de tomber malade, faute de médicaments. On tremble à l’idée de devoir être hospitalisé : les rares médecins et personnels soignants, qui résistent encore à l’envie de tout plaquer pour recommencer leur carrière et leur vie sous des cieux plus cléments, manquent de matériel, d’oxygène, d’antibiotiques, de sérums.
La situation est kafkaïenne, ubuesque, burlesque. Oui, les Libanais sont clivés. Ils sont surtout « abimés » comme me l’a dit une amie psychanalyste avec laquelle je discutais au téléphone cet après-midi et qui a trouvé les mots justes face à mon désespoir de voir encore un de mes amis partir en aller simple.
Elle m’a dit : « Je comprends ta douleur, mais il faut qu’ils partent, eux resteront au moins intacts ». Ses mots m’ont semblé si justes. Si vrais. Abimés vs intacts. Nous sommes plus qu’abimés, nous ressemblons aux produits de consommation dont la date de péremption approche et que l’on brade. Nous sommes bons à accepter n’importe quel métier (ceci dit en passant, je suis d’accord qu’il n’y a pas de sots métiers), marchandé à n’importe quel prix pourvu qu’on nous pompe, qu’on nous essore, même si nous avons donné le meilleur de nous-mêmes et que ce meilleur n’a pas de « prix ». Mais il est convenu, dans le panier de monnaies des affairistes, que le taux du Libanais est désormais constamment revu à la baisse, jusqu’à la baise finale qui l’entubera et qu’il acceptera parce qu’il ne peut plus se permettre de faire la fine bouche.
À propos de bouche, cette dernière se contente, pour la majorité de la population, d’un seul repas végétarien par jour, et encore. Oui, quatre-vingts pour cent des Libanais vivent désormais sous le seuil de pauvreté.
Qui pouvait imaginer qu’un peuple aussi généreux à l’hospitalité légendaire serait acculé à mendier des aides ? C’est aussi surréaliste qu’atrocement vrai. Dès lors que vous avouez, lors d’un très bref séjour à l’étranger, venir du Liban, les yeux se baissent, accompagnés par une moue compatissante et des mots de désolation/consolation : « Oh mon Dieu, comment arrivez-vous à subir tout cela ? Il faut sortir de cet enfer ! » Et vous de répondre : « Cet enfer, on va l’apprivoiser, on va étouffer ses flammes et on va s’en sortir, tout a une fin, non ? Il y a toujours un moyen. Ce moyen on l’inventera…».
Mais le plus blessant dans tout cela, c’est lorsque vos compatriotes « dollarisés » vous proposent de payer vos services en « Lollars », histoire d’asseoir leur supériorité du moment que le Liban est devenu une destination prisée par les expats qui y passent des vacances pour « trois fois rien » ; expats qui ont vite fait de raccourcir leurs vacances parce que les coupures de courant et l’absence de sécurité sanitaire ont pesé plus lourd dans la balance « vacances pour rien vs chaleur torride, absence de courant ». En cas de maladie, comment se faire soigner ? Et puis la chaîne du froid, contrairement à celle de l’effroi, est constamment rompue. Les empoisonnements et autres intoxications alimentaires, qui en voudrait ?
Quant aux recruteurs de l’étranger, ils voient en ces Libanais « nouveaux pauvres », une manne céleste à embaucher… pour une poignée de Lollars.
Cette humiliation de trop, ne passe pas, ne passera pas, à l’instar de ceux qui souhaitent défigurer le visage du Liban et le transformer en un abject Lubnanistan. Iranie du sort. No Pasaran. Karma is a bitch (en couches-culottes).
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