La cohabitation entre les religions peut se révéler difficile. C’est le constat que dresse le nouveau président du Conseil suisse des religions Gottfried Locher. Le Bernois de 48 ans estime qu’il convient de soigner les relations entre chrétiens et musulmans. Il s’inquiète aussi de l’augmentation des cas d’antisémitisme.
Egalement président de la Fédération des Églises protestantes de Suisse, Gottfried Locher a été élu, début juillet, à la tête du Conseil suisse des religions pour succéder au président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse Hisham Maizar, décédé en mai.
swissinfo.ch: Le Conseil suisse des religions va célébrer l’année prochaine ses dix ans d’existence. L’institution reste toutefois peu connue du grand public. Avez-vous l’intention de rompre avec la discrétion?
Gottfried Locher: Oui et non. D’un côté, nous devons communiquer davantage avec le public. Jusqu’à maintenant, nous avons publié au maximum deux prises de position par année, ce n’est pas assez. Nous devons renforcer nos liens avec la population et donner notre opinion sur des sujets d’actualité qui intéressent les gens, mais aussi éventuellement approfondir une thématique en réalisant une étude. Le Conseil suisse des religions se cherche encore. Il doit trouver sa manière de communiquer.
De l’autre côté, les échanges internes fonctionnent bien, et il est nécessaire de préserver un climat protégé au sein de l’organisation pour que les représentants des différentes religions puissent discuter librement entre eux. Nous avons besoin des deux aspects: les débats théologiques internes et la communication avec les citoyens.
swissinfo.ch: Votre dernière prise de position remonte aux attentats qui ont décimé la rédaction du journal satirique français Charlie Hebdo, en février 2015 à Paris. Comment le conseil a-t-il analysé cette attaque?
G.L. : Nous étions tous d’accord sur la nécessité de condamner fermement ces actes de violence atroces. C’est ce que nous avons fait. Toutefois, ces événements tragiques ont amené les membres du conseil à débattre de la liberté d’expression et des limites de la provocation, et à ce sujet, nous avions des divergences.
Personnellement, je trouve qu’il faut pouvoir exercer son sens critique, voire faire preuve d’ironie ou d’humour envers les religions. La démocratie en a besoin. Les représentants des autres religions ne partagent cependant pas tous mon avis, notamment les musulmans.
La recherche du consensus au sein du Conseil suisse des religions est difficile, parfois même impossible. Lorsque nous ne trouvons pas de terrain d’entente, nous devons souvent faire des compromis.
Si un consensus était facile à trouver, ce serait toutefois étonnant. Chaque religion a sa manière d’expliquer la vie. Pour cette raison, ma priorité est de promouvoir la paix entre les religions. Ce n’est pas la même chose que la recherche d’un consensus. La paix est parfois délicate, comme le démontre la situation au Proche-Orient, et le Conseil peut jouer un rôle pour la préserver. Sa tâche est de créer un climat de discussion sain entre les représentants des religions pour permettre des échanges honnêtes et sincères sur les questions à discuter.
swissinfo.ch: Quels sont les thèmes que le Conseil devra aborder prochainement?
G.L. : Nous devons prioritairement discuter de la coexistence de l’islam et du christianisme. La relation entre ces deux religions est centrale. Elles ont une histoire difficile ensemble, et il convient de ne pas rejouer les conflits du passé. Les musulmans de Suisse représentent une partie importante de notre population. Nous ne devons en aucun cas «désapprendre» le vivre ensemble.
En outre, nous constatons que les juifs ne sont plus à l’aise dans notre pays. Ils se sentent menacés. Le Conseil suisse des religions doit examiner ce problème. Je ne sais pas comment expliquer l’émergence de ces tensions, mais j’ai l’impression qu’elles sont dues au changement de situation. Jadis, la majorité de la population était chrétienne avec une petite minorité juive. Actuellement, une importante minorité de musulmans est aussi installée en Suisse. Cet essor de l’islam suscite des craintes et des tensions. Le climat général a changé.
swissinfo.ch: Les craintes sont aussi liées au problème de l’extrémisme et particulièrement aux actes de violence commis au nom d’une religion. Comment faire face à ces dérives?
G.L. : Le Conseil est uni sur la question de l’extrémisme: il faut combattre ce phénomène mais nous devons encore trouver comment y parvenir. Concernant les jeunes qui partent combattre aux côtés de l’Etat islamique, il faut leur dire qu’ils ne vont pas seulement prendre part à une guerre, mais qu’ils vont aussi arriver dans un enfer dont ils ne sortiront pas indemnes. Ce n’est toutefois qu’une partie de l’extrémisme. Difficile de savoir comment lutter contre les fondamentalismes. Je pense qu’il faut surtout pouvoir parler ouvertement, et ne pas craindre de débattre de questions délicates afin d’éviter l’émergence de tabous.
swissinfo.ch: Dans cette logique, le Conseil Suisse des religions ne devrait-il pas intervenir davantage dans des polémiques qui touchent l’Eglise, comme celle provoquée par l’évêque de Coire Vitus Huonder, qui a cité publiquement un verset de la Bible condamnant les homosexuels à mort?
G.L. : Normalement, nous ne nous positionnons pas sur ce type de question. Elle doit d’abord être examinée par l’Eglise catholique. Le problème est interne. C’est donc la Conférence des évêques suisses qui doit se positionner. Par contre, si la polémique prend de l’ampleur, le Conseil pourrait en discuter. Chaque religion doit, dans un premier temps, s’attaquer à ses propres problèmes, avant que nous n’intervenions.
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Les Suisses et les religions
Selon les chiffres du recensement de la population de 2013 publiés par l’Office fédéral de la statistique, les habitants de la Suisse de plus de 15 ans se disent (en chiffres ronds) à: 71% chrétiens, 21% sans confession, 5% musulmans, 0,3% juifs, 2,7% autres.