En dépit des promesses qu’il réitère à intervalles réguliers à l’intention de ses men-hebbakjis – ses adorateurs – et de ses chabbiha – les voyous au service des intérêts mafieux des membres de sa famille -, Bachar al-Assad confirme jour après jour qu’il ne dispose plus des moyens d’emporter la partie et que la victoire qu’il fait miroiter à ses partisans ne lui tend pas les bras. Au contraire, lentement mais sûrement, les choses se gâtent pour lui. Il aurait été emporté depuis longtemps par la vague de violence qu’il a volontairement initiée sans l’aide de ses amis russes et iraniens, et sans l’afflux en Syrie de milliers de mercenaires chiites aussi sectaires et sanguinaires que les « terroristes » sunnites qui lui servent d’épouvantails face aux Occidentaux.
Pour reculer l’échéance et prévenir la débandade, il veille donc à dissimuler les failles et les faiblesses de son régime. Ce sont elles qui font l’objet de ces chroniques. Elles sont destinées à rendre courage aux Syriens qui perdent patience et à montrer à ceux qui s’interrogent que Bachar al-Assad, contesté dans sa propre famille et dans sa communauté, n’est pas dans une situation meilleure que l’opposition. Il n’y a donc aucun intérêt à le considérer comme un partenaire. Certes, il continuera à manœuvrer, à mentir et à tuer, puisque c’est ce qu’il sait faire. Mais il ne pourra rétablir avec l’ensemble des Syriens les relations qu’il n’aurait jamais perdues s’il avait accepté d’entendre les cris des jeunes, des femmes et des hommes qui sont sortis dans les rues, en mars 2011, pour réclamer le respect, la justice et la liberté auxquels ils avaient droit, mais dont ils avaient été privés par son père et lui-même durant près de 50 ans.
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Au cours des mois écoulés, les responsables syriens civils et militaires n’ont lésiné sur aucun moyen pour obliger leurs jeunes compatriotes à rejoindre les rangs de l’armée ou de l’une des organisations paramilitaires créées pour seconder les forces régulières. Malheureusement pour eux, les jeunes Syriens refusent de les entendre et, aussi peu désireux de participer au meurtre de leurs concitoyens que de connaître le sort des centaines de soldats abandonnés à eux-même et tués dans des conditions abominables par l’Etat islamique, ils se montrent plus que réticents à répondre aux appels sous les drapeaux.
Relevés sur les sites Internet syriens au cours des derniers jours, les exemples figurant ci-dessous confirment l’ampleur de la crise de recrutement à laquelle le régime de Bachar al-Assad se heurte dans ce domaine. Ayant perdu la confiance d’un certain nombre de ses partisans, jusque et y compris dans les rangs de la communauté alaouite, il recourt à des méthodes de plus en plus expéditives. Réveillant dans la mémoire collective des souvenirs douloureux, l’enlèvement de jeunes Syriens et leur envoi au front sans préparation suffisante, confirment aux yeux de beaucoup que Bachar al-Assad, comme son père et son régime, ne se distinguent pas des forces qui ont jadis occupé et asservi leur pays.
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Le 7 décembre, des habitants de Masyaf, une ville fidèle au pouvoir en place, ont manifesté contre le régime de Bachar al-Assad. Ils voulaient connaître le sort de leurs enfants ou de leurs proches, positionnés à l’intérieur de l’aéroport de Deïr al-Zor encerclé et menacé par l’Etat islamique. Ils craignaient en effet pour leur vie et redoutaient qu’ils soient victimes du même traitement que les soldats capturés par Da’ech lors de la prise de l’aéroport militaire de Tabqa. Abandonnés par leurs officiers, plusieurs centaines d’entre eux avaient alors été égorgés.
Selon un témoin oculaire, « la colère des manifestants n’a pas été apaisée mais exacerbée par les coups de feu tirés par les forces de sécurité. Les manifestants criaient que leurs enfants n’avaient pas vocation à protéger le trône de Bachar al-Assad, pour lequel ils n’étaient que de simples chiffres. Ils exigeaient aussi que, membres de la communauté alaouite, les soldats soient protégés par tous les moyens possibles par le régime au profit duquel ils se battaient ».
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Quelques jours plus tard, le 12 décembre, des éléments des forces gouvernementales ont hermétiquement bouclé le quartier al-Faïdh, dans la ville de Jableh, interdisant aux habitants de pénétrer sur les lieux ou de les quitter, que ce soit par voie maritime ou terrestre. Durant 6 heures, ils ont perquisitionné les maisons. Ils ont arrêté une cinquantaine de jeunes gens, qu’ils ont emmenés avec eux à bord de bus militaires pour les obliger à rejoindre l’armée régulière.
Selon le Réseau syrien des Droits de l’Homme, qui a rapporté cette opération dans un communiqué, au cours du mois de novembre, c’est la ville de Jableh qui aura connu, après la ville de Hama, le plus grand nombre de perquisitions et de rafles.
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Le même jour, on apprenait que les autorités syriennes avaient supprimé la desserte maritime, inaugurée entre le port de Tartous et la ville turque de Mersin au début du mois d’octobre 2014. Elles avaient constaté que celle liaison était surtout empruntée chaque semaine par des dizaines de jeunes alaouites pour quitter leur pays sans avoir accompli leur service militaire.
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Au même moment, les forces de sécurité ont saisi l’occasion d’un match de l’équipe de Barcelone, qui compte en Syrie de très nombreux supporteurs, pour envahir trois cafés populaires du quartier de Cheykh Dhaher, à Lattakié. Ils s’y sont emparés de plusieurs dizaines de jeunes gens, arrêtés et aussitôt emprisonnés pour être livrés à l’armée pour accomplir leur service militaire. Ils n’avaient pas répondu à l’appel sous les drapeaux.
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Les procédés aujourd’hui utilisés par les pouvoirs publics pour contraindre les jeunes Syriens à rejoindre les rangs de l’armée sont comparés par eux au safar barlek, une méthode de recrutement mise en œuvre au début du 20ème siècle par l’Empire ottoman menacé d’écroulement. Dans une tentative désespérée de repousser l’ennemi, la Sublime Porte avait dépêché des gendarmes dans les pays sur lesquels s’exerçait encore son autorité, pour y enlever les jeunes gens dont elle avait besoin. Mais cette manière de faire s’était révélée désastreuse, les jeunes ainsi enrôlés n’ayant ni l’envie de se battre, ni la formation militaire qui leur aurait permis de résister aux troupes ennemies.
Nombre de Syriens espèrent aujourd’hui que les mêmes causes provoqueront les mêmes effets…
Chroniques du délitement. 12 / Bachar al-Assad s’inspire de méthodes jadis fatales à l’empire ottoman
Bon réveil, les Alouettes.