Après s’être montré ici et là au milieu de ruines dont il ne pouvait savoir si elles avaient été provoquées par des bombardements de l’armée régulière ou des attaques des forces de l’opposition syrienne, le maire de Béziers nous est revenu de Syrie avec une conviction et même une certitude : « Il y a aujourd’hui une obligation à défendre un régime, certes critiquable, mais qui est le seul à pouvoir faire barrage à Da’ech« .
Qui a dit à Robert Ménard que, pour les Syriens dont il prétend se montrer solidaire… en jumelant sa ville avec Maaloula, la priorité des priorités est aujourd’hui de « faire barrage à Da’ech » ? Et qui lui a dissimulé que, si c’est bien de cela qu’il s’agit… au moins pour les Occidentaux, le régime de Bachar al-Assad n’est ni « le seul », ni surtout le plus disposé à le faire ?
Il ne pouvait évidemment compter sur ses nouveaux amis, ceux en compagnie desquels il a fait du tourisme de guerre à Homs et au Crak des Chevaliers, pour lui ouvrir les yeux sur un certain nombre de vérités. On lui rappellera donc que des millions de Syriens, qui n’éprouvent aucune sympathie pour Da’ech, ont beaucoup moins souffert des « barbares » de l’Etat islamique qui le révulsent que de la barbarie de Bachar al-Assad, dont il admet seulement du bout des lèvres que son régime – mais pas sa personne bien entendu… – est « certes critiquable ». Pour ces millions de Syriens, la priorité n’est donc pas de combattre les premiers mais de se débarrasser du second. Et puisque personne, au sein de sa délégation comme parmi ses accompagnateurs, ne le lui a indiqué, on lui signalera que ces millions de Syriens sont beaucoup plus disposés à « faire barrage » à ce nouvel ennemi que celui qui exploite aujourd’hui leur présence pour attirer en Syrie des visiteurs suffisamment ignorants pour se faire ses avocats.
S’il s’était informé avant de voler au secours des chrétiens de Maaloula, le maire de Béziers aurait appris que Bachar al-Assad avait menacé, dès le début de l’année 2011, d’installer le chaos dans son pays et dans la région au cas où on chercherait à s’en prendre à lui. Il aurait également appris, ce que tout le monde sait aujourd’hui, que Bachar al-Assad, pour accélérer la réalisation de sa prophétie au moment où il était en danger, a libéré de ses prisons, dans la seconde moitié de l’année 2011, des centaines et peut-être des milliers d’islamistes et de candidats au djihad. Il aurait aussi appris que ce même Bachar al-Assad a durant des mois ménagé l’Etat islamique, beaucoup trop occupé à prendre possession du territoire de son futur califat pour se battre sérieusement contre les forces du régime, et qu’après avoir protégé Da’ech des attaques de l’Armée syrienne libre et des autres groupes combattants, il lui a abandonné des centaines de ses soldats encerclés dans la région de Raqqa pour bénéficier en retour de l’horreur provoquée chez nous par leur liquidation.
En évoquant les « barbares qui assassinent et détruisent », le maire de Béziers ignorait sans doute que, pour des millions de Syriens, cette description s’applique d’abord et avant tout à Bachar al-Assad et à son entourage militaire et sécuritaire. Il est vrai que les bourreaux de l’Etat islamique se comportent comme des « barbares » et que, en exécutant des humanitaires et des journalistes, en lapidant des femmes adultères, en coupant la main de voleurs ou en exposant sur des croix les cadavres de certaines de leurs victimes, ils provoquent chez nous et parmi les Syriens une légitime indignation. Mais pour les Syriens descendus dans les rues pour crier leur désir de changement, les véritables « barbares » sont ailleurs. Ce sont les militaires et les membres des forces de l’ordre qui, de Daraa à Lattaquié en passant par Homs et Hama, ont immédiatement ouvert le feu sur les manifestants désarmés. Les véritables « barbares » sont les auteurs des massacres perpétrés à l’arme blanche contre les femmes et les enfants de dizaines de villages des gouvernorats de Homs, Hama ou Idlib. Les véritables « barbares » sont les moukhabarat et les autres exécuteurs des basses œuvres du pouvoir qui ont torturé à mort des milliers de Syriens appartenant à toutes les communautés, qui jettent aujourd’hui leurs prisonniers vivants dans des fours ou qui laissent délibérément mourir de faim, au fond de leurs cachots, des centaines de leurs concitoyens. Les véritables « barbares » sont les partisans du régime qui ont fait du viol des femmes, et parfois des enfants et des hommes, un instrument d’humiliation et une arme de destruction des esprits et des familles. Les véritables « barbares » sont les militaires qui lâchent au hasard sur des villes et des villages peuplés en grande majorité de civils des barils de TNT agrémentés de ferrailles, de manière à provoquer un maximum de dégâts matériels et physiques. Les véritables « barbares » sont ceux qui, depuis le Palais du Peuple, organisent et couvrent de leur autorité ces abominations, provoquent et entretiennent les haines confessionnelles et œuvrent sournoisement à la partition de leur propre pays !
Pour les Syriens qui aspiraient à la dignité et à la liberté et qui n’ont connu en réponse que la mort, Bachar al-Assad n’est donc pas seulement « critiquable ». Il DOIT être critiqué et dénoncé. Il doit être déféré devant une Cour de Justice internationale, parce que, en faisant tirer sur son peuple, il s’est conduit en Syrie comme le pire des « barbares ». Il a perdu toute légitimité. Il doit laisser la place pour que la Syrie survive, tourne la page de cinquante années de pouvoir discrétionnaire et devienne enfin un Etat moderne.
La France ne s’est pas trompée vis-à-vis de la Syrie. Elle savait ce qu’elle faisait et elle s’est montrée fidèle à ses principes et à ses valeurs, quand elle a entendu la voix de ceux qui aspiraient à la liberté après cinquante années d’enfermement derrière les murs de « l’Etat de barbarie », et qu’elle a décidé de leur apporter son aide. Et si elle a échoué dans son projet de favoriser le bon aboutissement d’une révolution au moins aussi légitime que la révolution tunisienne, elle ne le doit pas seulement à l’insuffisance de ses moyens, à l’inertie des Américains, à son incapacité à mobiliser d’autres Etats occidentaux à ses côtés, à la faiblesse et aux divisions de l’opposition syrienne… Elle le doit d’abord et avant tout aux discours irresponsables de ceux qui se sont faits et qui continuent de se faire les propagandistes de Bachar al-Assad, « certes critiquable », mais malgré tout présenté par eux comme le symbole de la tolérance, de la coexistence entre les religions et de la laïcité, face aux monstres qu’il a contribué à créer.
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Addenda :
On aurait aimé demander à Robert Ménard, qui a été invité à rencontrer plusieurs personnalités religieuses parmi lesquelles le mufti de la République cheykh Ahmed Hassoun, des nouvelles de Mère Pelagia Sayaf. Supérieure du couvent de Mar Takla, à Maaloula, cette religieuse avait montré l’étendue de son courage et de sa liberté de parole en refusant à plusieurs reprises de s’exprimer, au cours de l’automne 2013, conformément aux directives des autorités syriennes. Elle avait chassé en les traitant de « menteurs » les reporters d’une chaîne de télévision officielle. Elle s’était montrée en compagnie de combattants de l’Armée syrienne libre. Elle avait surtout refusé de faire des adversaires du régime ses propres ennemis et de leur imputer de manière indiscriminée les destructions intervenues dans la ville.
Mais, comme le suggèrent les photos de la pérégrination en Syrie du maire de Béziers, il n’a pas été autorisé à la rencontrer. Il est vrai que, depuis sa libération, le 9 mars 2014, Mère Pelagia est tenue au silence, entre les murs de l’institution de l’église grecque orthodoxe où elle est en résidence surveillée. Elle devait regagner son monastère au plus tôt, mais les autorités syriennes ne lui ont toujours pas pardonné d’avoir déclaré deux choses, lors de sa libération :
– qu’elle n’avait pas remercié Bachar al-Assad et le cheykh qatari Tamim ibn Khalifa Aal Thani spontanément, mais qu’elle s’était conformée « à une demande expresse des intermédiaires libanais »,
– et que, au risque d’irriter certains, elle se devait d’exprimer sa reconnaissance pour « le bon traitement » dont elle-même et ses sœurs avaient bénéficié durant les quelque trois mois de leur captivité à Yabroud, entre les mains du Jabhat al-Nusra, la branche syrienne d’al-Qaïda…
La priorité n’est pas de faire barrage aux « barbares » de Da’ech mais à la barbarie de Bachar al-AssadR. Ménard est de cette classe de politiques français qui ont, de toujours, profondément méprisé ces « bougnoules » qui se prétendent chrétiens (comme « nous »!). L’ignorance crasse, la suffisance et les slogans de marchand de tapis de ce monsieur et de ses compagnons donnent à croire que l’islamisme, sous ses variantes les plus primitives, assadienne, en l’occurrence, s’est acheté des propagandistes zélés au sein de notre classe politique en France, sorte de mercenaires médiatiques qui roulent pour des fanatiques criminels et qui sont,… Lire la suite »