Par Najib George Awad (professeur associé de théologie chrétienne, Hartford Seminary, Connecticut, Etats-Unis)
En Syrie, la minorité chrétienne, qui voit le pays déchiré par une guerre civile sanglante depuis plus de 21 mois, a fêté Noël dans l’angoisse du chaos et de la montée des islamistes. Dans une église bondée du centre de Damas, les chrétiens ont prié pour que « la paix s’installe dans le coeur de tous les Syriens ».
Dès le début de la révolution syrienne en mars 2011, en Orient comme en Occident, des voix se sont élevées appelant à sauver les chrétiens de l’enfer de la guerre et à les protéger contre le nettoyage ethnique et religieux, qui adviendrait inéluctablement en cas de chute du régime, et donc d’arrivée au pouvoir – évidente – des islamistes. Dans les faits, les chrétiens se sont retrouvés dans une révolte populaire que le régime et les rebelles extrémistes ont transformée en guerre ouverte d’une violence inouïe.
Dès lors, la Syrie est devenue le terrain de règlements de comptes historiques, stratégiques et politiques pour tous les acteurs de la région, et les chrétiens se sont trouvés prisonniers des choix de leurs différents prélats, et soumis à la remarquable efficacité, de la part des médias de Bachar Al-Assad, d’une manipulation faite pour terroriser.
UN SYSTÈME CLIENTÉLISTE ET AUTORITAIRE
La plupart des dignitaires religieux en Syrie, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, ont été étroitement assujettis au pouvoir grâce un système clientéliste et autoritaire très performant – mis au point sous Hafez Al-Assad – et dont la poursuite par son fils a été fidèlement assurée.
Ainsi, depuis le déclenchement de la révolution, ces prêtres ont toutes les facilités possibles pour se répandre sur les médias en assurant que la liquidation physique de tout chrétien interviendrait inéluctablement aussitôt Bachar éliminé. A les entendre, Bachar serait le Messie de leur Eglise, et sa famille l’unique garante du salut de la chrétienté orientale.
Sur la terre syrienne, depuis mille quatre cents ans, musulmans et chrétiens vivent, côte à côte, dans la meilleure intelligence. Pourquoi donc ce qui fut avant ne se prolongerait-il pas après cette funèbre dictature ? Et pourquoi donc les chrétiens de Syrie n’auraient d’autre destin que celui des chrétiens d’Irak ? Dès le premier jour de la révolution, le régime a mis en branle sa puissante machine de propagande destinée à terroriser les minorités et à les persuader que, si elle réussissait, le désastre serait total. Le monde était prié de se pénétrer de cette vérité.
C’est alors que les frontières furent ouvertes pour laisser affluer les terroristes, les djihadistes et les fanatiques de tout poil, afin d’accroitre l’intolérance et l’influence du plus sauvage des extrémismes religieux. Les chrétiens en Syrie ont dû faire face à la répression, à la terreur et aux menaces du régime qui les mettait en garde contre toute approche des légitimes revendications de la révolution.
Bachar a récemment accéléré les cadences d’interviews par les médias étrangers des dignitaires chrétiens à sa botte. Leur mission est simple : il leur est demandé d’imposer, avec toute la crédibilité indispensable, l’image d’un Islam égorgeur d’enfants chrétiens. Et cela au mépris de toute réalité historique, culturelle, et sociale. Pour faire bonne mesure, on y ajoutera les non-chrétiens, aussi acharnés dans la sauvagerie.
SOUMISSION À UN POUVOIR CRIMINEL
Pour ce régime hégémonique, les chrétiens ne sont qu’une carte habilement utilisée dans le jeu de sa survie. Il ne protège en rien les minorités mais les utilise pour se protéger. Il faut sauver les chrétiens syriens du choix désastreux de leur hiérarchie religieuse, qui a choisi la plus lamentable soumission à un pouvoir criminel, plutôt que d’embrasser la société syrienne dans son ensemble, et se trouver aux côtés des opprimés. Souvenons-nous que les régimes et leurs dirigeants sont mortels, mais que la coexistence de nos peuples est immuable.
A nos amis occidentaux, chrétiens ou non-chrétiens, je veux dire ceci : Lorsque vous entendez parler de la Syrie, assurez-vous que vous entendez parler de la vraie Syrie et ne vous arrêtez pas à ce que vous souhaitez entendre, consciemment ou non. Si vous voulez vraiment sauver la chrétienté syrienne, je vous en prie, ne l’assimilez pas aux mensonges ni aux alliances de ses dirigeants religieux avec le pouvoir. Sachez que leur soumission à Bachar, leur sinistre Messie, est absolue. Les chrétiens syriens ne pourront jamais croire à l’inepte propagande qui vante la protection des minorités, et la crainte de représailles les condamne au silence.
Lorsque vous pensez à eux, évitez toute projection de vos problèmes avec l’Islam. Ils soutiennent, comme leurs frères et sœurs d’Egypte, les revendications du peuple et rêvent, avec les musulmans et les laïcs, d’une Syrie débarrassée du terrorisme, de la tyrannie, du djihadisme, sans fanatisme, sans blasphème, et d’où la corruption aura été extirpée. Sauvez-les, ces chrétiens syriens, avant tout, de la terreur et de l’intimidation avec lesquels cette famille les étrangle.
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Najib George Awad (professeur associé de théologie chrétienne, Hartford Seminary, Connecticut, Etats-Unis)
L’auteur de cette tribune prend activement part, depuis le début de la contestation, aux initiatives de dialogues entre les différentes communautés syriennes. Il souhaite notamment alerter la communauté chrétienne sur la nécessité de mener un dialoguer ouvert avec les musulmans.