Triste réalité : le conflit palestino-israélien s’enlise irrémédiablement en raison de la détermination des dirigeants israéliens à opter pour le Grand Israël plutôt que pour la paix. Ils passent ainsi à côté d’un choix historique, seul à même de constituer une alternative à un régime d’apartheid qui se heurtera, à terme, au problème de la croissance démographique arabe qui finira par prévaloir sur le caractère juif de l’Etat d’Israël. Les Etats-Unis n’imposeront pas davantage le chemin de la paix au gouvernement israélien. Le manque d’empathie de Barack Obama à l’égard des Palestiniens, patent lors de sa visite en mars à Ramallah, et son refus de prendre à bras-le-corps un dossier qu’il ne perçoit pas comme prioritaire nourrissent cette certitude.
D’autant que nous assistons à un retournement de situation au Moyen-Orient : de l’Irak à la Syrie, la tendance est à la dislocation. Les Kurdes en Irak jouissent déjà d’une quasi-indépendance. Un nouveau bain de sang s’annonce entre sunnites et chiites et il faut admettre que Nouri al-Maliki, le Premier ministre irakien, n’est pas loin d’une «version» chiite de Saddam Hussein. En Syrie, la purification ethnique est à son apogée. Les récents massacres de sunnites sur le littoral alaouite sont le prélude à des tueries pires encore dans les villes de Banias et plus tard de Lattaquié pendant que les «amis de la Syrie» hésitent toujours à armer l’opposition. Cela permet au régime de Bachar al-Assad de déplacer le peuple, notamment la majorité sunnite, vers l’intérieur de la Syrie ou à l’extérieur, vers le Liban, la Jordanie et la Turquie. Les autres minorités, chrétiennes et arméniennes, partent déjà vers les pays occidentaux, tandis que le régime alaouite fait tout pour transformer les druzes en mercenaires contre les sunnites, imitant en cela l’instrumentalisation des druzes d’Israël contre les Palestiniens. Ce scénario cauchemardesque accouche d’un conflit d’intérêts au sujet des prochaines lignes de démarcation entre Israël et l’empire persan rampant qui a déjà «atterri» sur le littoral de la Méditerranée par Hezbollah interposé. Autant dire que les frontières tracées par les accords Sykes-Picot de 1916 s’effondrent et que le monde arabe est désormais paralysé par les divisions confessionnelles et ethniques.
Dans cette phase transitoire, trois puissances sont concernées par les nouvelles frontières du Croissant fertile : la Perse, la Turquie et Israël. Les Perses feront tout pour préserver leur domination de l’Irak, d’une Syrie fragmentée et d’un «point de contact» allant de la région côtière syrienne au Liban et localisé principalement dans les bastions du Hezbollah. De leur côté, les Turcs sont engagés dans la normalisation des relations avec les Kurdes, dont les droits à la citoyenneté seront consacrés par la nouvelle Constitution. Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre, n’a pu que se résigner au fait accompli et consentir des concessions en échange du retrait des combattants kurdes du PKK vers le nord de l’Irak. Il restera aux Turcs à régler le problème des Kurdes syriens, dont le territoire, à la frontière turque, est déjà autonome.
Dans ce contexte, je pense que la Syrie s’achemine vers une interminable guerre civile susceptible d’aboutir au scénario des quatre Etats imaginé par le mandat français : l’état d’Alep, l’état de Damas, le canton druze et l’enclave alaouite ou nusayrî, soutenue par les Perses et la Russie qui auront leur base à Tartous. Jusqu’à présent, l’axe irano-russe a fait de son mieux pour soutenir le régime de Bachar al-Assad et il continuera à le faire, même si la Syrie est divisée : cet axe s’intéresse surtout à la lutte contre les jihadistes ou la nébuleuse Al-Qaeda, prétextes invoqués pour ne pas armer le peuple syrien.
Je ne voudrais pas sombrer dans trop de pessimisme, mais force est d’admettre que les beaux jours de l’Andalousie sont révolus, ces jours où juifs et musulmans partageaient une histoire de coexistence, offrant au monde un héritage incomparable. Un nouveau type d’inquisition se fait jour dans les pays arabes : celle de l’intolérance, de l’analphabétisme, du confessionnalisme et du tribalisme, qui est en fait le cycle prédit par Ibn Khaldoun. L’inquisition de la querelle entre sunnites et chiites – née d’un différend politique autour de la succession du prophète Mahomet – est exploitée par le manque et l’incapacité de l’esprit arabe ou musulman à résoudre cette controverse, à se tourner vers l’avenir, le développement et l’éducation, pour mettre en place un marché commun arabe, renforcer l’Etat de droit et le mettre à l’abri de la théocratie médiévale fondée sur des interprétations ahurissantes du Coran.
Le vrai défi consiste à moderniser l’islam. Je n’ai pas de réponse, mais on devrait y parvenir à travers une pensée critique capable de remettre en cause, voire de détruire, les dogmes obsolètes. Dans le scénario cauchemardesque que je redoute, les dirigeants d’Israël auraient tort de se croire à l’abri, même temporairement, et même en déportant les Palestiniens. Ils ne feront que semer davantage de frustration et de haine, provoquant ainsi plus d’instabilité. Et je ne vois pas d’avenir au peuple israélien et à ses élites dans la forteresse Israël.
Terrible ironie du sort : le futur de cette terre soi-disant sainte, de ce Croissant fertile qui fut le berceau de civilisations prospères, n’annonce que des guerres fratricides et sanglantes entre les descendants présumés d’Abraham.
* Chef de la communauté druze au Liban, président du Parti socialiste progressiste