Au cours des tout derniers jours, la Coalition Nationale des Forces de la Révolution et de l’Opposition Syrienne a montré à deux reprises qu’elle n’était disposée à se laisser faire, ni par ses amis, ni par les alliés du régime.
Répondant au téléphone à une question de la chaine de télévision Sky News, le 28 décembre, le président de la Coalition a d’abord rejeté une proposition du ministre russe des Affaires étrangères, qui souhaitait s’entretenir avec lui à Moscou, ou proposait de le rencontrer à Genève ou au Caire pour « des pourparlers ». Ahmed Moazz Al Khatib lui a fait savoir qu’un déplacement en Russie était inenvisageable et qu’aucune négociation ne pourrait être engagée par l’intermédiaire des Russes avant la réalisation de plusieurs préalables :
– un accord ou un engagement clair portant sur le départ de Bachar Al Assad, dont l’abandon du pouvoir était la première revendication de la contestation et une condition sine qua non de résolution de la crise politique ;
– l’annonce par les Russes d’un plan ou d’un programme dépourvu d’ambiguïté, qui permettrait de mettre un terme définitif à l’effusion de sang ;
– l’acceptation que la rencontre se tienne dans un Etat arabe, qui pourrait être le Qatar, ni Moscou, ni aucun pays occidental n’offrant, pour la Coalition, un cadre approprié ;
– enfin la présentation au peuple syrien des excuses de la Russie, qui, ayant apporté au régime en place son aide militaire et lui ayant prodigué ses conseils, portait une responsabilité directe dans le déroulement des évènements et dans le nombre considérable de ses victimes.
Le président de la Coalition a profité de l’occasion pour réaffirmer que, contrairement à ce que véhiculaient certains médias, l’opposition syrienne ne réclamait pas une « intervention étrangère » de quelque sorte que ce soit. Elle avait été un temps réclamée par les manifestants, moins désireux de voir des soldats d’autres pays arabes fouler le sol syrien, que d’être protégés contre la rage éradicatrice des forces armées et des services de sécurité du régime. Il s’est abstenu de rappeler que, en tout état de cause, les seules interventions étrangères avérées en Syrie étaient le fait de ceux qui mettaient en garde à tout bout de champ contre ce genre de choses, autrement dit de la Russie et de l’Iran, du gouvernement irakien et du Hizbollah libanais, bref de ceux qui avaient ouvertement pris parti pour le régime en place, contre le peuple syrien.
En réponse, le chef de la diplomatie russe a indiqué deux choses, le 29 décembre, au terme d’un entretien avec l’émissaire international pour la Syrie, Lakhdar Brahimi. Tout d’abord qu’une « solution politique du conflit en Syrie était encore envisageable ». Ensuite, qu’il était « impossible de persuader le président Bachar Al Assad de quitter le pouvoir ». En insistant sur la compatibilité de ces deux propositions, totalement irrecevables ensemble pour l’opposition et la révolution, le chef de la diplomatie russe a confirmé de deux choses l’une… ou plutôt deux choses en même temps :
– qu’il n’est guère utile de discuter avec les Russes, dont la passivité vis-à-vis de Bachar Al Assad s’apparente à celles de parents ayant définitivement perdu toute autorité sur l’enfant odieux qu’ils ont trop longtemps gâté ;
– et que les Russes se moquent éperdument des revendications de la rue syrienne, préférant se satisfaire de l’invention, par Lakhdar Brahimi, d’un « plan de sortie de crise susceptible d’être accepté par la communauté internationale »… qui passe sous silence le sort, fondamental pour les révolutionnaires, de la tête du régime.
La Coalition Nationale, qui refuse de se laisser imposer une solution qui n’aurait pas obtenu son agrément, même si celle-ci convient explicitement aux « amis du régime syrien » et implicitement à certains « Amis du Peuple syrien », a réagi en avançant ce qui peut être considéré à la fois comme un geste d’ouverture et comme sa dernière proposition. Selon son porte-parole officiel, Walid Al Bounni, qui répondait, le 30 décembre, aux questions de l’agence de presse turque Anatolie, « l’unique concession que l’opposition syrienne peut encore avancer consiste à autoriser Bachar Al Assad à s’en aller sans être trainé devant la Justice ». Son départ, en revanche, n’est « absolument pas négociable ». Il constitue « pour l’opposition un préalable ». « Toute solution ne comportant pas une telle garantie sera considérée irrecevable ».
La proposition du médiateur algérien, qui appelait à mettre en œuvre le plan de paix élaboré à Genève en juin 2012, est donc nulle et non avenue. Il s’agit même, selon le porte-parole de la Coalition, d’une « supercherie ». Et ce pour deux raisons :
– d’une part, « alors que ni l’opposition, ni la révolution ne lui font plus confiance, permettre au chef de l’Etat de rester en place jusqu’aux élections prévues dans ce plan, équivaudrait à lui offrir l’opportunité de se rétablir et d’imposer à nouveau le statu quo ante » ;
– d’autre part, personne – à commencer par les Russes… qui paraissaient presque se réjouir de leur impuissance à convaincre Bachar – n’est en mesure de garantir aux révolutionnaires que, s’ils remportent ces élections, le chef de l’Etat, qui dispose encore d’une autorité sans partage sur les restes de son armée, sur les services de renseignements, sur la police, sur les chabbiha, sur les Comités populaires… acceptera de se retirer.
Pour les révolutionnaires, toute solution ne comprenant pas comme premier point le départ de celui qui a mené le pays à la destruction et continue de pousser la population dans la voie de la guerre civile est donc irrecevable. « Accepter son départ en renonçant à le voir juger est déjà la marque d’une grande mansuétude ».
Par cette double prise de position, la Coalition Nationale, qui a besoin de rassurer sa base à l’intérieur, démontre donc à la communauté internationale qu’elle n’entend pas se laisser impressionner. Ni par les gesticulations militaires des Russes, qui dépêchent en ce moment de nouveaux navires de guerre en direction de « leur » port de Tartous. Ni par la temporisation dans la mise en œuvre des promesses de dons formulées à Marrakech, il y a quelques semaines, par les « Amis du Peuple syrien ».
A l’orée de l’année 2013, meilleurs voeux de liberté et prompte libération au Peuple syrien, qui, comme tous les autres peuples, a « droit à l’autodétermination ».
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