S’adressant aux ambassadeurs de France réunis à l’Elysée, lundi 27 août, à l’occasion de leur conférence annuelle, le président François Hollande a appelé l’opposition syrienne à « constituer un gouvernement provisoire, inclusif et représentatif, qui puisse devenir le représentant légitime de la nouvelle Syrie », avant d’affirmer que Paris « reconnaîtrait » un tel gouvernement « lorsqu’il aura été formé ».
Cette invitation laisse perplexe. On peut comprendre que la France, comme nombre d’autres pays, serait aise de pouvoir disposer d’un interlocuteur légitime unique, avec lequel réfléchir aux grands traits de la Syrie nouvelle et avec qui préparer la reconstruction du pays. Il en aura bien besoin : il est aujourd’hui délibérément dévasté sur ordre de Bachar Al Assad, bien décidé à ne rien laisser debout derrière lui après sa chute. Mais cette initiative pose un certain nombre de questions.
La première est celle de la priorité ou de l’urgence
Les Syriens qui subissent, jour après jour, une répression inspirée dans ses méthodes de ce que la Russie de Vladimir Poutine a fait de plus détestable dans les marches de l’ancien empire soviétique, n’ont jamais demandé la mise en place d’un tel gouvernement. Ils pensent moins au « jour d’après » qu’à leur survie actuelle, au jour le jour. Ce qu’ils réclament avec insistance depuis des mois, mais apparemment sans avoir été entendus ou compris, c’est la « protection internationale » qui leur permettra de continuer à exprimer leur refus des « nouveaux Mongols » qui les gouvernent sans risquer la prison, la torture et la mort, sans voir tomber autour d’eux leurs parents et leurs proches, sans être contraints à l’exil, sans perdre leurs maisons et leurs biens…
Depuis cette demande, exprimée unanimement dans les rues le vendredi 9 septembre 2011… soit bientôt un an jour pour jour, ils ont demandé avec aussi peu de succès « une zone d’interdiction de survol » (28 octobre), « une zone protégée » (3 décembre), « le soutien de l’Armée syrienne libre (ASL) » (13 janvier 2012) dont ils avaient affirmé quelques semaines plus tôt (le 25 novembre) qu’elle « nous protège », « le droit à l’auto-défense » (27 janvier), « l’armement de l’ASL » (2 mars), « une intervention militaire immédiate » (22 juin), et finalement « la fourniture de moyens antiaériens » (10 août). Nulle part ne figure la mention d’un « gouvernement de transition »… En revanche, ils se disaient satisfaits de voir, vendredi 17 août, dans « l’union de l’Armée libre le gage de la victoire ».
La seconde est celle de la faisabilité
Alors que le Conseil national syrien (CNS) connaît des tensions internes qui viennent de déboucher sur la démission plus ou moins forcée de sa porte-parole, Bassma Qodmani, alors que le Comité de Coordination des Forces de Changement national démocratique est agité par des dissensions sans précédents au plus haut niveau, alors que les discussions entre ces deux principales coalitions de l’opposition se sont soldées par un constat d’incompréhension, alors que les opposants ont montré leur incapacité à dépasser leurs clivages sur des questions aussi essentielles que le dialogue avec le régime, le rôle de la résistance armée, le préalable du départ de Bachar Al Assad, et la nature ‘ilmânî (strictement laïque) ou madanî (laïque modérée) du futur état démocratique…, on voit mal comment « l’opposition » pourrait être en mesure de s’entendre sur une question à ce point délicate.
Abandonner au seul CNS le soin de procéder à l’élaboration d’un « gouvernement de transition » serait prendre le risque que le gouvernement en question ne soit ni inclusif, ni représentatif. Ce serait surtout s’exposer à ce qu’il ne soit reconnu par aucune des composantes de l’opposition qui, depuis des mois, contestent au Conseil le droit de parler en leur nom. Espérer que ce même Conseil puisse s’entendre sur une répartition des responsabilités avec la variété des personnalités, des forces et des partis politiques avec lesquels il s’est jusqu’à présent montrer en compétition, paraît aussi peu réaliste.
La troisième nous renvoie à nos hésitations et à nos réticences
A supposer que le gouvernement provisoire élaboré par le CNS, avec ou sans la collaboration des autres composantes de l’opposition, soit considéré par ses auteurs « représentatif et inclusif », rien ne garantit que nous tiendrons notre engagement et que nous accepterons de travailler avec lui. L’expérience du CNS est là pour le rappeler : il aura fallu plusieurs mois avant que les Etats-Unis (le 5 décembre 2011) et la France (le 24 février 2012) se décident à prendre au sérieux ce que les manifestants avaient affirmé à l’unanimité, le 7 octobre, dans les rues des agglomérations syriennes – « le Conseil National Syrien me représente » – et à voir à leur tour dans le CNS le « représentant légitime » du peuple syrien.
Comme pour le Conseil, la « surreprésentation » de tel ou tel groupe, voire la présence de certaines personnalités, risquent de freiner nos ardeurs. Obnubilés par la question des minorités, de la minorité chrétienne en particulier, nous serons refroidis par le poids que leurs compatriotes seront bien obligés de reconnaître dans ce gouvernement de transition aux Frères musulmans. Ils se sont affirmés comme l’un des pôles majeurs de l’opposition de l’extérieur, et la frilosité persistante de la communauté internationale laisse le champ libre à la reconstitution rapide de leurs réseaux à l’intérieur. Nous ne manquerons donc pas de réclamer au préalable à ce gouvernement un engagement sur des principes, auquel nous réserverons le même accueil sceptique qu’aux multiples « pactes d’honneur » rédigés et cosignés par des représentants de l’ensemble des communautés syriennes au cours des mois écoulés.
La quatrième est le caractère contre-productif de notre reconnaissance
Il est vraisemblable, si la mise sur pied d’un gouvernement de transition ne répond pas à une demande préalable exprimée par les civils qui subissent la violence du régime et les combattants qui tentent de desserrer l’étau sécuritaire, que sa création apparaîtra comme une ingérence de notre part et de ceux qui le reconnaitront. Les ministres qui le composeront seront considérés, à tort ou à raison, comme des créatures ou des agents à notre dévotion, des « Ahmed Chalabi syriens », aussi longtemps qu’aucune revendication portant sur un gouvernement transitoire n’aura été formulée depuis l’intérieur de la Syrie.
Or, ce n’est pas dans ce sens qu’on se dirige aujourd’hui. On constate au contraire que, ayant pris acte de l’incapacité de l’opposition de l’extérieur, toutes tendances confondues, à leur apporter les soutiens dont ils ont besoin, et convaincus qu’ils doivent désormais compter sur leurs propres forces et inscrire leur combat dans le temps, les révolutionnaires ont décidé de prendre les choses en main. L’annonce de la création, jeudi 30 août, du « Conseil révolutionnaire transitoire d’Alep et de sa région » en est l’illustration la plus forte. Succédant à l’élection, ici et là, de conseils municipaux dans les villages libérés, et complétant l’effort de structuration des combattants entamé depuis près de 6 mois par le Commandement conjoint de l’Armée syrienne libre à l’Intérieur, cette initiative destinée à être reproduite ailleurs, en fonction des circonstances, doit retenir les attentions.
Aider l’intérieur à se prendre en charge
On ne peut donc que se réjouir des déclarations faites à New-York, le même jour, par Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères. Il a observé que « l’opposition syrienne a pris des positions fortes dans des zones libérées à la fois au nord et au sud ». Il a considéré que « les résistants qui ont pris le contrôle de certaines zones et municipalités doivent administrer ces zones ». Il a espéré que, « dans ces zones libérées, les Syriens qui veulent fuir le régime trouveront un abri ». Il a conclu qu’il « faut les aider sur le plan financier, sur le plan administratif, sur le plan sanitaire et en terme d’équipements ».
Il a en conséquence annoncé que la plus grande partie d’un don supplémentaire par la France de 5 millions d’euros sera affectée à ces zones libérées. Sa gestion sera confiée à des activistes présents sur le terrain qui auront fait leurs preuves. S’en réjouiront tous ceux, Syriens et autres, qui considèrent comme lui que, « dans la Syrie du futur, ces personnalités joueront un rôle important parce qu’elles sont issues du conflit et qu’elles ont la confiance de la population ».
Entre un « gouvernement transitoire », qui ne pourra fatalement se réunir et travailler qu’avec une majorité de technocrates et d’experts syriens vivant à l’extérieur, et des « conseils révolutionnaires transitoires » à l’intérieur, créés pour prendre les choses en main aux plans politique, économique, social et militaire à l’échelon local et régional, il n’y a sans doute pas lieu de choisir. Mais c’est évidemment aux seconds que la plus grande importance doit être accordée, au moment où la situation humanitaire a dépassé toutes les cotes d’alerte et où le désespoir des Syriens abandonnés de tous peut conduire certains d’entre eux à faire appel à des combattants venus d’horizons divers, qui n’ont que faire de la lutte menée par les révolutionnaires pour la dignité et la démocratie.
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