Selon le site syrien d’information en ligne All4Syria, le comportement actuel de l’armée syrienne et l’absence d’état d’âme qui caractérise la répression des manifestations s’expliquent largement par la manière dont les promotions s’effectuent au sein de l’institution militaire syrienne. Il illustre son propos en prenant l’exemple du général Dawoud Rajiha, nommé ministre de la Défense en remplacement du général Ali Habib, officiellement remplacé « pour raison médicale » au début de l’été 2011.
Se fondant sur le témoignage d’un ancien subalterne de l’intéressé, d’ailleurs corroboré par plusieurs commentateurs, le site affirme que c’est davantage par sa servilité et son entière allégeance à la personne de Bachar Al Assad que par ses brillantes compétences que le général Rajiha a gravi les échelons. Ce sont elles qui l’ont finalement mené, après un passage par le poste de chef d’état-major des forces armées syriennes, à son actuelle fonction gouvernementale.
Pour illustrer son propos, le site rapporte comment le général avait surpris et choqué l’ensemble de ses subordonnés, lorsque, commandant d’une brigade de missiles positionnée dans la Ghouta, la région jadis verdoyante entourant Damas, il avait manifesté, en 1997, une obséquiosité déplacée envers Bachar Al Assad en visite dans son unité. Certes, tout le monde savait à l’époque que ce jeune homme de 31 ans était l’héritier présomptif de Hafez Al Assad. Mais son visiteur n’ayant alors que le grade de colonel et n’occupant aucune fonction officielle, ni militaire ni civile, le général Rajiha n’avait pas à lui présenter les honneurs, à faire montre de servilité, et encore moins à lui servir du sayyidi, une marque de respect réservée aux supérieurs.
C’est donc sans beaucoup d’étonnement que ceux qui avaient assisté à la scène ont constaté, quelque temps plus tard, Bachar ayant accédé à la magistrature suprême, que le général Rajiha – comme d’ailleurs son successeur à la tête de la même unité, le général Bassam Najmeddin Antakili, qui s’était comporté comme lui dans une circonstance similaire – ne s’était pas humilié pour rien. Les démonstrations d’allégeance auxquelles il s’était livré n’avaient pas été oubliées par le nouveau commandant en chef des forces armées qui l’avait récompensé.
Pour remplacer au poste de ministre de la Défense le général Ali Habib, dont on peut douter de la véracité des explications fournies par lui-même à son départ, une démarche totalement inédite en Syrie, il n’était pas anormal que le chef de l’Etat opte pour le général Dawoud Rajiha. Celui-ci avait été promu, le 4 juin 2009, chef d’état-major des forces armées syriennes. Or il est devenu presque habituel, depuis la nomination au gouvernement du général Hasan Turkmani pour succéder au général Moustapha Tlass, le 4 décembre 2004, que le chef d’état-major de l’armée syrienne soit ensuite nommé au ministère de la Défense.
Mais dans le cas présent, la décision présidentielle, annoncée le 8 août 2011 avait au moins une autre motivation. Au moment où l’armée était toute entière mobilisée pour défendre, non pas la Syrie agressée par une puissance étrangère, mais le régime contesté et mis en difficulté par le rejet d’une partie de la population syrienne, Bachar Al Assad avait tout intérêt, puisqu’il en avait un sous la main, particulièrement fidèle et dévoué à sa personne, à mettre en avant l’un des rares généraux chrétiens de son armée. Certes, cela ne suffirait pas à exonérer de leurs responsabilités les militaires, moukhabarat et chabbiha alaouites, en première ligne depuis le début de la contestation. Mais, en dépit des pouvoirs limités dont bénéficie en Syrie le ministre de la Défense, la désignation à ce poste de Dawoud Rajiha présentait au moins deux avantages. Elle permettait de continuer à recourir à la force en tentant de faire croire que la répression n’était pas confessionnelle, puisque, si les victimes étaient majoritairement sunnites, ce n’était pas un alaouite – comme l’était le général Ali Habib – mais un membre d’une autre communauté qui en portait symboliquement la responsabilité. Elle permettait aussi d’impliquer suffisamment la communauté chrétienne pour lui interdire désormais de prendre avec le pouvoir la moindre distance, sous peine de se voir réclamer, lors de la chute du régime, le prix de sa participation aux crimes commis contre la population.
Le site ajoute que l’acceptation de cette mission par le général Rajiha, peu soucieux de ses répercussions sur sa communauté et sur les chrétiens syriens en général, n’a pas empêché Bachar Al Assad de lui affecter rapidement un vice-ministre auquel il a demandé de l’avoir à l’œil. Il a choisi pour cette mission le général Asef Chawkat, dont il ne savait plus très bien quoi faire depuis plusieurs années sans pouvoir prendre le risque de s’en débarrasser. Dès sa nomination, le 12 septembre, le beau-frère du chef de l’Etat a donc été chargé d’éplucher la correspondance de Dawoud Rajiha au départ et à l’arrivée, et de viser l’ensemble des documents adressés au nouveau ministre avant qu’ils lui soient transmis, de sorte que celui-ci n’ait pas d’autre solution que de valider les propositions de son « subordonné ».
Asef Chawkat avait été lui-même soumis à une mesure aussi vexatoire lorsque Bachar Al Assad avait nommé à son côté, en juin 2006, le général Ali Younes avec lequel sa mauvaise entente était notoire. Le chef de l’Etat entendait surveiller son beau-frère, alors chef des services de renseignements militaires, dont il s’interrogeait sur la totale et parfaite fidélité à son endroit…
A l’usage de ceux qui doutent du fonctionnement particulièrement retors du système syrien, dans lequel les promotions s’apparentent ainsi souvent à des pièges, All4Syria attire l’attention sur le cas du nouveau chef d’état-major, le général Fahd Jasem Al Farij. Les observateurs avaient été surpris, le 11 août dernier, de le voir bombardé à cette haute fonction, en violation de la règle sacro-sainte dans toutes les institutions militaires qui donne la priorité au plus ancien dans le grade le plus élevé. Si le choix s’était alors porté sur lui, au détriment de plusieurs officiers de grade supérieur, dont d’ailleurs le même Asef Chawkat, c’est parce que l’intéressé, sunnite et membre de la lignée des Al Bou Salibi de la tribu des Al Haddidin, était natif de la région de Hama, une ville alors soumise à une reprise en main particulièrement brutale et sanglante. Pour contrôler celui qui avait accepté d’assumer, en prenant son nouveau poste, la plus grande part de responsabilité dans les épreuves de sa ville d’origine, Bachar Al Assad avait aussitôt nommé auprès de lui un certain Ali Dayoub, dont le nom ne permet pas de douter qu’il appartient à la communauté alaouite. C’est lui qui est à ce jour le véritable chef d’état-major, alors que son supérieur hiérarchique n’est – selon le site – qu’un tartour, un « pantin ».
A toutes fins utiles, on précisera que All4Syria a été créé et est toujours animé par l’ingénieur Ayman Abdel-Nour, qui est membre – certes critique… – du Parti Baath et qui appartient à la communauté assyrienne. On ne peut donc le soupçonner, lorsqu’il dénonce les travers du régime, d’inciter au confessionnalisme, en particulier contre les chrétiens. Ce qu’il cherche depuis des années, en jetant la lumière sur certaines pratiques du pouvoir notoirement perverties, c’est à montrer dans quelles impasses s’enferme le système lorsqu’il s’obstine à fonctionner selon des logiques qui ne sont nullement celles d’un état digne de ce nom, mais plutôt comme un régime… pour ne pas dire comme une mafia au sein de laquelle règnent à la fois le culte absolu de la personnalité du chef et sa totale irresponsabilité devant ceux sur lesquels s’exerce son autorité.
http://syrie.blog.lemonde.fr/2011/11/10/comment-le-general-dawoud-rajiha-est-il-devenu-ministre-de-la-defense-en-syrie/