Bienvenue dans le grand marchandage avec l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et le Hamas ! Peut-être n’est-ce qu’un moyen de gagner du temps pour l’Iran, qui veut continuer d’enrichir son uranium, et pour la Syrie, qui veut repousser la création du tribunal international chargé de juger les assassins de personnalités politiques au Liban. Quant au Hezbollah, il veut lui aussi engranger les fruits de l’accord de Doha [signé le 21 mai dernier pour mettre fin à la violence au Liban], qui lui a donné un droit de veto sur le gouvernement tout en l’autorisant à garder ses armes, tandis que le Hamas veut profiter d’un cessez-le-feu avec Israël qui lui permettra peut-être de faire chuter le président de l’Autorité palestinienne.
Ce marchandage va aboutir à une nouvelle carte géopolitique régionale, dominée par Israël d’un côté et par l’Iran et ses satellites de l’autre. La Syrie et l’Iran obtiendront par la négociation ce pour quoi ils se sont battus militairement, à savoir la domination du Liban pour la première, et celle de l’Irak pour le second. De nombreuses mesures d’apaisement ont été prises ces dernières semaines. Un cessez-le-feu par-ci, un accord d’échange de prisonniers par-là, puis l’accord de Doha… Et tout cela vaut à la Syrie d’être félicitée pour son rôle “constructif”.
Il faut savoir que le ministre de la Défense israélien, Ehoud Barak, véritable homme fort du gouvernement, souhaite le retour de la Syrie au Liban. Il pense que le régime de Bachar El-Assad constitue la meilleure garantie pour la sécurité israélienne, puisqu’il est faible face à Israël, empêche les actions de la résistance à partir du territoire syrien et assure le calme sur sa frontière, mais se montre déterminé à combattre les Frères musulmans. Par conséquent, Ehoud Barak pense qu’il faut briser l’isolement du régime syrien et le réhabiliter auprès des Européens et des Américains.
Aujourd’hui, c’est le président Sarkozy qui mène la campagne de réhabilitation de la Syrie. C’est lui qui a légitimé les ingérences de la Syrie au Liban en acceptant qu’elle soit partie prenante dans l’élection du nouveau président libanais, Michel Sleimane. Mais pas plus Sarkozy que le prochain président américain n’ont le droit de jouer avec le Tribunal pénal international en faisant de l’obstruction ou en dénaturant ses principes. Car le président français a une dette envers le Liban. C’est le pays du Cèdre qui lui a permis de rétablir de bonnes relations avec ses Américains adorés [après les années Chirac]. Le franc-parler des Français est étonnant, notamment quand ils disent très sérieusement que leur président et leur ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, sont fous. Ils critiquent l’ancien président Chirac pour telle ou telle décision, mais personne ne parlerait de lui en usant des termes que l’on peut entendre à propos de Sarkozy et de sa clique.
Aujourd’hui, les dirigeants arabes qui prônent la modération ne semblent pas au centre du jeu politique mené par Sarkozy, ou de celui de Bush, qui n’a cessé de torpiller l’établissement d’un Etat palestinien durant son mandat. Si ce grand marchandage se fait au détriment des forces modérées, il aura des conséquences catastrophiques pour la région, voire pour le monde entier. Et le prix à payer sera énorme.
Al Hayat
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