Président de la fédération des Émirats arabes unis, l’émir d’Abou Dhabi a créé la surprise il y a deux jours en se rendant en Russie pour y rencontrer Poutine. Le but ? Jeter les jalons d’un plan de médiation avec l’Ukraine concernant notamment la centrale nucléaire de Zaporijjia. Une façon aussi pour ce pays du Golfe de se hisser sur la scène internationale.
Sur les questions énergétiques comme sur la guerre en Ukraine, les pays du Golfe, en froid avec l’administration Biden, se démarquent de l’alignement traditionnel de leurs diplomaties sur les positions de l’allié américain, pour adopter un positionnement plus nuancé placé sous le signe de l’indépendance et du non-alignement. Le théoricien de ce « nouveau non-alignement » n’est autre que Mohammed ben Zayed (MBZ), émir d’Abou Dhabi, élu président de la fédération des Émirats arabes unis le 14 mai dernier, et que le New York Times avait déjà désigné en 2020 comme « le plus puissant des dirigeants arabes ».
Ce 11 octobre, MBZ a créé la surprise en se rendant à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il a longuement rencontré le président Vladimir Poutine. Au menu : des questions bilatérales liées à la stratégie commune à adopter au sein de l’OPEP + (Organisation des pays exportateurs de pétrole) pour stabiliser le marché des hydrocarbures. Il était aussi, surtout, question d’une discrète mais audacieuse médiation émiratie concernant la guerre en Ukraine. Selon une source ayant suivi de près la rencontre MBZ-Poutine, l’objectif principal était de « jeter les jalons d’un plan de médiation concernant la guerre en Ukraine ». Un plan axé sur trois volets : une proposition visant à sécuriser la centrale nucléaire de Zaporijjia. Une offre concrète portant sur des échanges de prisonniers de guerre. Et enfin, un projet de dialogue entre Moscou et Kiev en vue d’une désescalade pouvant aboutir à terme à des pourparlers de paix.
NON-ALIGNEMENT POUSSÉ
Selon la même source, le président émirati a « fait part à Poutine des points de vue précis des autorités ukrainiennes sur tous ces sujets », ce qui laisse présager qu’Abou Dhabi se serait concertée avec Kiev au préalable de la rencontre MBZ-Poutine. Quant à la réaction russe, cette source rapporte que « Vladimir Poutine a salué les avancées obtenues par la médiation émiratie, notamment en ce qui concerne le dossier des échanges de prisonniers » et « a écouté avec intérêt l’exposé qui lui a été fait des positions ukrainiennes sur les différents volets » de la médiation émiratie tout en « émettant le souhait de voir se poursuivre les efforts entrepris par les Émirats sur tous les dossiers évoqués ». En jouant les intermédiaires entre Kiev et Moscou, les Émirats cherchent à nuancer leur position sur la crise en Ukraine, en affichant davantage de neutralité. Condition sine qua non pour une médiation diplomatique efficace et crédible.
Alors que le grand frère saoudien se contente de revendiquer une indépendance diplomatique toute nouvelle vis-à-vis des États-Unis, après des décennies de suivisme systématique, les Émirats entendent aller plus loin sur le chemin du non-alignement. Abou Dhabi ambitionne de se hisser en intermédiaire actif sur la scène internationale. Une façon de conforter son influence diplomatique – acquise notamment depuis les accords d’Abraham avec Israël, en 2020 – qui lui a permis de s’imposer comme une puissance politique majeure et incontournable au Moyen-Orient. Cependant, l’enjeu pour Abou Dhabi consiste aussi à ne pas laisser ses rivaux turcs et qataris s’accaparer le rôle de médiateur dans les crises et conflits qui déchirent la la région et le monde.
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