À Sweida, le « royaume autonome » druze vit une paix armée

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Des civils druzes, appuyés par l’armée syrienne, prennent les armes en juin 2015 pour défendre Sweida, leur ville attaquée par des anti-Assad.

ENVOYÉ SPÉCIAL À SWEIDA

SUR LA PLACE centrale de Sweida trône toujours le buste de Sultan Pacha al-Atrach, le héros de la résistance druze de 1925 contre le mandat français en Syrie. En revanche, dans les rues, les portraits de Bachar el-Assad se font plutôt rares. Druze d’abord, Syrien ensuite, mais surtout antirebelles.

« Les Druzes sont unis contre leurs adversaires. Personne ne peut venir chez nous imposer ses vues », jure Socrate, un jeune activiste d’une ONG, dans un café de Sweida, au coeur du « royaume druze» du sud de Syrie. On y accède par une autoroute de plaine venant de Damas, distante d’une centaine de kilomètres. Jusqu’en 2014, les rebelles l’avaient coupée, isolant le sud du pays de la capitale. Parfois encore, les djihadistes y font des incursions. Ils tiennent des positions alentour, à partir des contreforts montagneux de Lahjat où ils se terrent. Une heure d’attente au barrage pour entrer dans la province de Sweida, à 40 km de la ville éponyme. Les véhicules sont fouillés, les passagers descendent pour livrer leur identité à des militaires postés dans une guérite.

Sweida symbolise les erreurs que les opposants d’Assad ont accumulées, poussant cette minorité de 700000 personnes dans les bras du régime. Pourtant, lorsque la révolte démarre, en mars 2011, de nombreux Druzes manifestent pacifiquement, pas dans les mosquées, mais dans les rues. En août, un déserteur druze, le major Khaldoun Zeineddine, forme même un groupe armé, la Brigade Sultan alAtrach, qui s’allie à des insurgés sunnites de Deraa, la ville voisine, d’où est partie l’insurrection. Mais rapidement, l’islamisation de la révolte inquiète les Druzes, attachés au sécularisme. En décembre 2012, l’enlèvement, puis l’assassinat d’un de leurs dignitaires, Jamal Ezzedine, par le Front al-Nosra, la branche locale d’al-Qaida, les fait basculer.

« C’était la décision des chefs religieux de Sweida et de plusieurs personnalités civiles de ne pas participer à la révolte », affirme l’un de ces dignitaires, Cheikh Kamil Nasser, le pantalon bouffant et la tête couverte du tarbouche rouge traditionnel. Les Druzes furent d’autant moins enclins à se rallier à la rébellion que Khaldoun Zeineddine et les cadres frondeurs de sa faction furent arrêtés puis condamnés à mort par al-Nosra, avant d’être finalement expulsés vers la Jordanie voisine.

« Personne chez les Druzes n’avait intérêt à rejoindre ces extrémistes », assure Hala, une jeune enseignante aux lèvres peintes, qui sirote un jus de fruit dans un café ouvert pendant le rama- dan, où les filles portent la minijupe plutôt que le voile. «Les Druzes, ditelle, sont conservateurs socialement, mais ils n’ont rien d’islamiste. »

L’ambiance à Sweida jure avec l’atmosphère ultrarigoriste des poches islamistes, voire djihadistes, du voisinage. À l’est, dans le désert du Badia, des tribus bédouines ont rejoint Daech, tandis qu’à l’ouest, des factions islamistes ont longtemps tenu le terrain. La périphérie de Sweida est une ligne de front autour d’une ville qui s’est retrouvée maintes fois encerclée. Conquérir ce verrou était une priorité pour les anti-Assad, qui lancèrent en juin 2015 une attaque contre l’aéroport militaire de Thaaleh. Mais, en une nuit, près de 10 000 civils druzes prirent les armes pour défendre, aux côtés de l’armée, cette emprise vitale pour la communauté. Les insurgés furent vaincus. Ce fut le tournant.

“Les Druzes sont conservateurs socialement, mais

ils n’ont rien d’islamiste” HALA, UNE JEUNE ENSEIGNANTE

« Jusque-là, de nombreux jeunes Druzes refusaient d’aller faire leur service militaire pour défendre des villes lointai- nes comme Alep ou Homs », explique Socrate. Après cet appui donné à l’armée, le régime accorda aux Druzes le droit d’intégrer la troupe, mais chez eux, à Sweida. Une fois encore, les chefs traditionnels jouèrent un rôle prédominant en concluant un accord tacite avec Damas. En contrepartie, ils offrirent le soutien de la minorité druze au pouvoir. Et grâce à cette force quasi autonome d’une dizaine de milliers de locaux qui défendent leur terre, l’armée est, depuis, assez peu présente dans le djebel druze.

Depuis, Sweida accueille des dizaines de milliers de déplacés: des Druzes indésirables dans la région d’Idleb dominée par les radicaux sunnites, mais surtout beaucoup de sunnites d’autres régions qui travaillent dans l’agriculture, la principale ressource du secteur, avec les transferts d’argent des membres de la diaspora, nombreux au Venezuela, notamment.

Au fil des ans, Sweida est devenue une zone de repli, y compris pour les Druzes des quartiers de Damas, menacés par les rebelles, comme Jaramanah. Dans cette cité proche de l’aéroport de la capitale, comme à Sweida, les Druzes ont su remplir leur rôle et faire tampon face aux insurgés anti-Assad. «Mais ne vous trompez pas, avoue sous le sceau de l’anonymat un enseignant, le sentiment général n’est pas très favorable au régime. » À mots couverts, de nombreux Druzes critiquent les gangs qui pullulent, et la corruption galopante dans les rouages du pouvoir. « Nous n’accepterons pas de revenir aux mêmes méthodes de gouvernement qu’avant la crise », ajoute cet instituteur qui veut croire que « le régime a compris le message ». Bref, s’ils exècrent les rebelles, les Druzes ne sont pas pour autant des godillots. « Personne, en fait, ne se sent encore très à l’aise, reconnaît l’enseignant. On est encore au milieu du gué, on reste anxieux car notre avenir est flou. »

Une insurrection islamisée, un régime peu enclin au changement: il n’en fallait pas plus pour que certains Druzes prêtent une oreille attentive à leur voisin israélien, qui prônait une large autonomie druze, du plateau du Golan jusqu’à Sweida. «Des partisans de cette troisième option ont existé à un moment donné », reconnaît le chercheur Talal al-Atrache. «À travers des émissaires druzes de Galilée, ajoute-t-il, les Israéliens ont tenté de se poser en seul défenseur des Druzes de Syrie.» Mais « personne n’était prêt à suivre la carte israélienne, tranche Cheikh Kamil Nasser. Les Israéliens sont de grands menteurs qui ne pensent qu’à nous diviser». La perspective d’une désescalade des violences au sud ne peut que rapprocher les Druzes de leur rêve autonomiste au sein d’un État syrien remodelé.

LE FIGARO

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