Un État qui voile ne peut être qu’un État qui viole

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Tandis que le régime iranien joue de la propagande pour médias occidentaux naïfs avec son « abolition de la police des mœurs », la vérité est ailleurs et la répression continue. Si le procureur Jafar Montazeri a déclaré la « fermeture de cette patrouille », qui n’est absolument pas une institution qu’on peut dissoudre mais un simple programme géré par la police, il a également précisé que le comportement des Iraniens serait toujours strictement surveillé. Le port du voile reste par ailleurs obligatoire dans le pays. Ceux qui se réjouissent de cette fausse bonne nouvelle n’ont en tête que le voile et la police des mœurs. Or, ces deux choses ne sont que la partie émergée de l’iceberg d’un système entier, qui utilise la corruption, le viol et l’assassinat concomitamment depuis 1979.

 

Ce système totalitaire a frappé le 17 octobre, lorsque la jeune Armita Abbasi, 20 ans, a été emmenée en urgence à l’hôpital Imam Ali à Karaj, accompagnée de policiers, tondue et tremblante. Les médecins lui ont diagnostiqué une sévère hémorragie au niveau du rectum due à des viols répétés. Les policiers, eux, ont demandé qu’il soit écrit sur le rapport : « viol antérieur à l’arrestation ». Cette histoire constitue l’un des très nombreux témoignages recueillis par CNN dans son enquête « How Iran’s security forces use rape to quell protests » parue le 21 novembre, qui révèle les traitements sordides et les sévices sexuels subis par les jeunes manifestants iraniens, hommes comme femmes, lors de leurs interrogatoires par les forces de l’ordre. Derrière l’apparente « abolition de la police des mœurs », les fondations du système répressif iranien sont plus que jamais en place pour engendrer d’autres crimes comme ceux commis contre Armita Abbasi. Alors, ces atrocités sont-elles si surprenantes venant d’un État dont la première décision politique majeure a été d’invisibiliser la moitié de sa population ? Est-il si incongru de croire qu’il y a un lien entre l’institutionnalisation d’un vêtement qui infériorise et la légitimation d’un acte qui asservit ?

Voile et viol ne sont que les deux faces d’un même diptyque, dont la vocation est la soumission de la femme. Si l’enquête de CNN dépeint la façon dont le régime iranien utilise « l’arme du viol » contre les opposants, notamment en filmant les agressions et en menaçant d’envoyer les vidéos à la famille de la victime pour la réduire au silence, la méthode n’est pas nouvelle dans la région. Bachar al-Assad en est un disciple, puisque dès le début du soulèvement populaire de 2011, le régime syrien a mis en place le viol de masse des femmes par l’armée. Tabou ultime, planifié pour briser l’homme syrien, le viol de la mère, de la fille ou de la sœur peut détruire une famille entière d’opposants. Daech n’est pas non plus en reste avec son système organisé de viols et d’esclavage sexuel sur les femmes yézidies. Rien de nouveau à l’horizon puisque l’histoire le prouve : tout État qui se fonde au départ sur une idéologie inégalitaire, en l’occurrence sexiste, engendre presque toujours automatiquement l’acte le plus réifiant qui soit, le viol.

L’IRAN A ÉTATISÉ LE VIOL

Autrefois, les femmes de grande ou de petite vertu étaient distinguées par la loi selon un code vestimentaire strict. En Grèce, les prostituées étaient ainsi assujetties à porter des robes brodées à fleurs tandis qu’à Rome, le jaune, couleur de la débauche, leur était imposé. Dans les deux cas, la notion de viol ou d’agression sexuelle n’existait pas en tant que telle puisque les Anciens concevaient et protégeaient les corps selon que ceux-ci étaient libres ou propriété d’un tiers. La civilisation occidentale a connu bien des systèmes légaux qui, privant de droit la femme, forcément inférieure à l’homme, la catégorisaient selon sa respectabilité. Le viol a ainsi longtemps été puni selon qu’il était subi par une femme respectable, vierge ou mariée, ou une femme de mauvaise vie, autrement dit prostituée. Le voile a, dans la tradition islamique, cette même fonction de distinguer dans l’espace public les femmes de la haute société de Médine, qui devaient se voiler pour ne pas être importunées, et les esclaves qui pouvaient être livrées à la prostitution et au viol.

En 1979, en obligeant la moitié de sa population à se voiler, le régime iranien s’est assuré de pouvoir contrôler toute une société à travers la seule répression du corps féminin. Ainsi, en consacrant légalement la réification de la femme, l’Iran a étatisé le viol. En imposant aux femmes de se couvrir, les mollahs ont conditionné les hommes iraniens à ne voir leurs compatriotes féminines que comme des choses dont ils peuvent disposer comme bon leur semble. Le voile rend visible la soumission. Le viol la met en pratique.

Preuve étant, depuis l’arrivée de Khomeiny au pouvoir et l’imposition du tchador, la loi iranienne ne prévoit aucune disposition particulière en matière de violence conjugale. Une femme dont l’époux est physiquement violent à son endroit peut invoquer l’article pertinent du code criminel qui n’est qu’une disposition générale interdisant les voies de fait. Ce type « d’incident » sera en fait assez peu susceptible d’être pris au sérieux par la police. En outre, le Code pénal iranien légalise le viol conjugal puisque si une femme refuse d’avoir des relations sexuelles avec son époux, elle ne pourra pas recevoir de pension alimentaire. Dramatique lorsque l’on sait que la grande majorité des femmes iraniennes n’ont pas l’autorisation de travailler. Par ailleurs, le sigheh ou mariage de plaisir, est toujours en vigueur en Iran. Contracté pour une durée allant d’une heure à quatre-vingt-dix-neuf ans, il consacre une forme de prostitution halal. L’homme peut contracter autant de mariages temporaires simultanés qu’il le désire, et cesser le contrat quand il le souhaite. La femme, bien sûr, ne le peut pas.

Il n’est pas inutile non plus de rappeler que la Constitution iranienne affirme que la vie d’une femme ne vaut que la moitié d’un homme. Ainsi, les réparations versées pour avoir tué ou blessé une femme ne correspondent qu’à la moitié des indemnités dues lorsqu’il s’agit d’un homme. Mais l’Iran n’est pas le seul exemple d’État dont l’idéologie religieuse, fondée sur la domination de la femme par le voile, a automatiquement entraîné des lois et des comportements misogynes.

IDEM EN AFGHANISTAN

Il suffit de citer l’Afghanistan où une femme mariée qui se fait violer sera non seulement condamnée pour adultère, mais devra épouser son violeur pour être graciée. Ou bien l’Arabie saoudite, où une femme violée par un groupe d’hommes a été condamnée à six mois de prison et 200 coups de fouet pour avoir témoigné de son agression devant les médias sans être accompagnée d’un homme. C’est la raison pour laquelle bien des voix osent affirmer que le voile n’est jamais qu’un « simple morceau de tissu ». Parce qu’il n’arrive jamais seul.

On ne reprochera d’ailleurs pas à Houria Bouteldja, cofondatrice des Indigènes de la République, son honnêteté : « Le voile affirme le genre féminin dans le but de mieux affirmer le genre masculin, c’est-à-dire de mieux réaffirmer les hommes dans leur virilité et dans leur position. » Ainsi, si le voile ne régit pas à lui seul tout le système patriarcal iranien, il en est le principal pilier. Il est en cela le cœur du réacteur sexiste qui met en branle le corps sociétal iranien, loi incluse. Utilisé comme critère de respectabilité d’une femme, le tchador constitue le curseur de ce qu’il est permis de lui faire ou non. Un État dont le pouvoir n’existe qu’à travers l’oppression du corps féminin se considérera toujours comme légitime pour déclarer ce que ce corps peut subir ou non. Le régime iranien se fonde en réalité sur cette idée malheureusement toujours vivace selon laquelle le monde des femmes se diviserait en deux : les Vierges et les Putains.

INFÉRIORISATION

Lorsqu’on s’obstine à déterminer qui sont les femmes vertueuses, on devient simultanément toujours obsessionnel sur qui sont les autres. Celles qui sont objets de désir, et qu’il faut donc mépriser. Si en plus elles ont l’outrecuidance de se rebeller, elles n’obtiendront que ce qu’elles méritent. On ne peut ici que constater que les mollahs, pharisiens en chef, sont en réalité des obsédés refoulés déversant leur frustration sur les femmes libres. Leur affichage de vertu va ainsi de pair avec la légitimation d’un comportement violent, anti-vertueux en réalité, envers celles qui sont jugées l’avoir bien cherché.

L’idée n’est évidemment pas de déresponsabiliser l’individu. Le viol préexiste à l’État et le violeur agresse sans qu’une loi ne vienne lui dicter son comportement. Mais si l’État ne crée pas directement le violeur, il peut encourager son comportement. Quand l’ensemble d’un système étatique – élections, justice, police, école… – se fonde sur l’idée que la femme n’est que la moitié d’un homme, on conditionne ce dernier dès sa naissance à la voir comme étant à sa merci.

A contrario, si l’État moderne fondé sur le principe d’égalité entre tous ne fait malheureusement pas disparaître le viol, il le combat. Comment ? En l’incriminant. En conclusion, les actes que commettent les forces armées iraniennes ne sont que l’exécution pratique et policière d’une loi qui institutionnalise l’infériorisation de la femme. La loi de 1979, en rendant obligatoire le tchador, ne fut que le prologue d’une société où l’homme a le droit de violer. En votant le voile obligatoire pour les femmes, la loi des mollahs n’a pas seulement séparé la société iranienne en « barbus » et en « corbeaux », elle a aussi créé un nouveau monde. Un monde de prédateurs et de proies.

MARIANNE

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