Le 29 avril dernier, plusieurs personnalités ont publié une étude constitutionnelle, sous forme de pétition, reprenant point par point les principales violations de la Constitution commises par le Président Michel Aoun.
Le document, que tout citoyen peut signer, est un véritable réquisitoire dénonçant une situation anormale, où l’État de droit aurait cessé d’exister au Liban ; non par volatilisation des textes mais uniquement par perversion de leur lecture ainsi que par leur non-application intentionnelle de la part de celui qui a prêté serment de veiller à leur respect. La liste de ces infractions délictueuses est longue. On peut la résumer en disant que le Président Aoun agit en fonction de l’affirmation : Je suis l’État, le Droit et la Loi. Il oublie avoir prêté serment sur la Constitution, non pour interpréter cette dernière selon son intérêt politique particulier, mais pour appliquer scrupuleusement le texte constitutionnel. Il ne lui appartient pas, et encore moins à ses conseillers, de se livrer à l’exégèse d’un tel texte. Nul ne peut se permettre d’avoir des opinions constitutionnelles car l’opinion est le stade basique de la pensée.
Certes, la Constitution n’est pas une vérité révélée mais c’est la loi suprême, la norme des normes. C’est un principe premier fondamental qui constitue la clé de voûte de tout l’édifice de l’État et de son ordre juridique. Le texte constitutionnel s’impose par lui-même et ne peut faire l’objet d’exégèse et d’herméneutique de la part de ceux dont la fonction est de l’appliquer.
Certains pays n’ont pas de constitution mais des lois communes qui en remplissent les mêmes fonctions. Le président de la république n’est pas un autocrate arbitraire mais un chef d’État. Son autorité ne découle pas de sa personne mais de ses fonctions soigneusement décrites par la Constitution. Ce n’est pas un magistrat du siège qui peut interpréter un texte de loi pour rendre un jugement. La Constitution, comme principe premier, participe ainsi du Sacré et non du contingent.
Lorsque le gardien de la Constitution se permet, unilatéralement, d’avoir une opinion sur sa mission de custode, cela s’appelle « haute trahison ». Cette dernière est définie comme étant « ‘un crime politique consistant à abuser de sa fonction pour une action contraire à la Constitution » (M. Duverger) ou un « manquement d’ordre politique aux obligations de la fonction » (G. Vedel). C’est précisément ce point précis que les constitutionnalistes qui ont réalisé l’étude en question mettent en lumière.
Ce réquisitoire survient après le spectacle surréaliste où un magistrat du Parquet, la Procureure Ghada Aoun, a elle-même violé la loi qu’elle est supposée faire respecter, sous la contrainte de la Justice. Ignorant le fait que sa hiérarchie l’avait dessaisie du dossier, elle a préféré se rebeller et agir en dehors du cadre des procédures prévues. Sous prétexte de perquisition d’un antre de corruption, elle a préféré utiliser les voies de fait en s’acharnant contre une société commerciale, au beau milieu des vociférations d’une foule déchaînée. Elle a sciemment et publiquement forcé les portes d’une propriété privée, piétinant la loi avec délectation, et jouissant de la couverture de la bave dégoulinant des bouches hurlantes de la populace de forcenés saisis par une transe de lynchage. Au lieu de veiller à la cohésion du corps rigoureusement hiérarchisé de la magistrature debout, la ministre de la justice n’a rien trouvé de mieux que d’observer une étrange neutralité. Elle s’est réfugiée derrière une distanciation réduisant le scandale, pour ne pas dire l’acte délictueux, à une querelle personnelle entre deux échelons hiérarchiques de la magistrature debout : la Procureure G. Aoun et son supérieur hiérarchique G. Oueidate de la Cour de Cassation.
Ainsi le régime actuel nous force à établir un terrifiant constat : le Droit et la Loi ne sont plus les références normatives de la Justice et de son pouvoir judiciaire autonome. De plus, la Constitution n’est plus la norme suprême de la vie politique. Ce n’est plus qu’un texte dépourvu de sens ou dont le sens découle de la libre opinion de celui qui en a la garde. Il n’y a donc plus de norme en dehors de la force du fait accompli qui caractérise un président nécessairement fort. Un tel homme ne tire pas son autorité du texte qu’il fait respecter mais de sa capacité, en termes de fourberie politique, à imposer sa volonté arbitraire en bafouant les normes admises.
Le Liban est devenu au mieux un non-État, au pire un État dirigé par des criminels constitutionnels.