En maintenant la pression militaire sur l’Ukraine, le maître du Kremlin rêve de ressusciter l’empire soviétique.
Les États-Unis et l’Otan ont condamné les exigences du Kremlin. Mais le président russe est en position de force. « Si Vladimir Poutine agit comme s’il avait la haute main dans cette affaire, c’est parce que c’est le cas », écrit Dmitri Trenin, le directeur du Centre Carnegie de Moscou, dans Foreign Affairs. Il a massé plus de 100 000 hommes et du matériel lourd aux frontières de l’Ukraine, où il peut déclencher une intervention militaire en quelques heures. Outre le chantage militaire, Vladimir Poutine bénéficie aussi de la faiblesse des Américains. Certes, ils ont menacé Moscou de nouvelles sanctions en cas d’invasion de l’Ukraine. Mais en affirmant qu’ils n’utiliseraient pas la force militaire pour la défendre… Voilà bien longtemps que les Américains, à l’Est, regardent davantage Pékin que Moscou. « Il y a dans l’Administration Biden une inertie intellectuelle sur le sujet russo-ukrainien. Avec beaucoup d’embarras et peu d’imagination. Vladimir Poutine a mis le doigt sur la contradiction de la politique étrangère américaine, qui d’un côté refuse de mettre son veto à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan et de l’autre ne veut pas défendre Kiev en cas d’attaque militaire de la Russie », explique Benjamin Haddad, le directeur du programme Europe de l’Atlantic Council. Le 10 janvier à Genève, Joe Biden espère éviter l’engrenage et « gagner du temps » pour trouver une solution diplomatique à la crise ukrainienne. « Mais le risque, poursuit Benjamin Haddad, c’est que les Américains soient piégés. La réaction initiale aux menaces russes aurait dû être plus forte. Pour négocier, il faut être dans un rapport de force. »
Dans ce contexte, quel terrain d’entente les deux présidents pourront-ils trouver sur les bords du lac Léman ? Certains évoquent la possibilité d’un moratoire sur l’extension de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie. Mais de trop fortes concessions de la Maison-Blanche, pour respecter les lignes rouges du Kremlin, porteraient un nouveau coup à la crédibilité américaine dans le monde, déjà très affectée. En août 2013, le renoncement de Barack Obama à lancer des frappes contre le régime syrien, qui avait franchi sa ligne rouge sur les armes chimiques, avait durablement affaibli la parole américaine et ouvert une autoroute aux interventions russes dans la région. Le désastreux retrait d’Afghanistan en août 2021, qui a donné l’image d’une Amérique faible et fuyante, n’a fait qu’aggraver les doutes sur la fiabilité des États-Unis vis-à-vis de leurs alliés. Depuis ce retrait, dans le monde entier, les pays redéfinissent leurs alignements géopolitiques.
Le ton particulièrement dur de la Russie, qui exclut toute « concession » sur ses exigences, n’a pas été adouci par le coup de téléphone qu’ont eu le 30 décembre, à la demande du Kremlin, Joe Biden et Vladimir Poutine. Le président américain s’est – mollement – dit « résolu » à réagir à une nouvelle invasion russe en Ukraine. Vladimir Poutine, lui, a exigé des « résultats » à ses demandes de garantie de sécurité.
L’UE réduite à l’état de spectatrice
Si l’ultimatum s’adresse aux Américains et aux Européens, l’Europe a été exclue des négociations du 10 janvier. Vladimir Poutine, qui ne prend pas au sérieux l’Union européenne, divisée et rétive aux rapports de force, a imposé un tête à tête avec les États-Unis, comme à l’époque de la guerre froide. Une fois n’est pas coutume, Josep Borrell, le ministre des Affaires étrangères de l’UE, a été plus ferme que la Maison-Blanche dans sa condamnation des exigences russes, jugées « complètement inacceptables ». De même les menaces contre l’Ukraine. « L’intégrité territoriale d’un pays et le droit d’un État souverain de décider de ses propres coopérations avec d’autres pays ou alliances, ces principes ne sont pas négociables », a-t-il prévenu. Il n’empêche que l’Europe a été tenue à l’écart par la Russie, qui ne veut discuter de son sort et de la redéfinition de l’architecture de sécurité du continent qu’avec les États-Unis…
Quant à l’Ukraine, sa perspective d’intégrer un jour l’Otan s’est encore un peu plus éloignée. La spécialiste de la Russie, Françoise Thom, prévient : « Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes de Hitler. Aujourd’hui, nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. »