Privé de territoire, l’EI se lance dans une campagne d’attentats. Un retour aux années de sang de Zarqaoui.
MOYEN-ORIENT Deux personnes ont encore été tuées la semaine dernière dans l’explosion d’une voiture piégée dans le quartier commercial de Bab alMouazzam à Bagdad. Depuis que Daech a été défait, début juillet dans sa « capitale » Mossoul, les djihadistes multiplient les attentats. À Bagdad, fin août (11 morts), Mouqdadiya, Tikrit, près de Ramadi, où ils ont repris durant quelques heures deux villages. Mais aussi à Nassiriya, mi-septembre (60 morts), l’attentat le plus meurtrier commis par l’État islamique (EI) depuis la chute de Mossoul, dans un Sud chiite, jusque-là relativement épargné par les violences des extrémistes sunnites.
« L’attentat de Nassiriya marque le retour de ce que la propagande djihadiste appelle les Jours de Zarqaoui », affirme Hisham al-Hashimi, spécialiste de la mouvance terroriste à Bagdad. Il fait allusion au sanguinaire leader jordanien d’al-Qaida en Irak, la matrice de Daech, jusqu’à sa liquidation en juin 2006 par une frappe américaine. « Nous entrons dans une nouvelle phase où Daech va se venger de ses pertes en intensifiant ses attaques kamikazes, ses assassinats ciblés et ses enlèvements », ajoute-t-il, alors qu’apparaissent sur son portable les images d’un attentat commis quelques instants plus tôt dans la ville disputée de Kirkouk contre la voiture du représentant d’un responsable sunnite. Dans l’imaginaire djihadiste, ces violences répétées doivent rappeler les années de sang 2005-2006, lorsque l’Irak sombra dans une guerre civile, voulue par Abou Moussab al-Zarqaoui.
« Le plus inquiétant, renchérit Hussein Allaoui, un autre chercheur, c’est le recours au chlore ou aux camions-citernes pour attaquer des marchés comme du temps de Zarqaoui. Ces attentats massifs répandaient la peur chez les Irakiens. » Or, ajoute le chercheur, « les services de renseignements irakiens ont toujours du mal à localiser les laboratoires de Daech ».
Un comité restreint de hauts responsables
Le 14 septembre, les djihadistes sont parvenus, pour la première fois depuis longtemps, à descendre en profondeur dans le Sud irakien. Déguisés en miliciens chiites – leurs ennemis jurés – des kamikazes sont arrivés à bord de trois pick-up aux couleurs de la « Mobilisation populaire », avant de pénétrer dans un restaurant où ils ont répandu la mort.
Structurellement, l’EI n’est plus, pourtant, que l’ombre de lui-même. De nombreux dirigeants ont été liquidés par des frappes américaines. Autour de lui, Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daech, ne disposerait plus que d’une poignée de hauts responsables. Cinq ténors djihadistes qui composent le « comité de procuration », sorte de Conseil des ministres restreint créé par Baghdadi, d’après une lettre découverte par les services de renseignements irakiens. Trois sont irakiens, et deux étrangers. Iyad Ahmad Jumayli en est le chef. Il est épaulé par Ghanem Jbouri Abouteiba, en charge des finances et de l’administration, et par Ahmad Shaker al-Jbouri. Le Saoudien, Abou Tarab al-Jerba, est responsable des opérations extérieures et de la logistique, et le Tunisien al-Oweini veille sur la sécurité interne d’un mouvement gagné par la paranoïa au fur et à mesure que ses leaders se font tuer.
Ce dernier carré gère au quotidien Daech ou ce qu’il en reste dans un califat syro-irakien en nette contraction. Selon Hisham al-Hashimi, al-Baghdadi n’est plus le chef opérationnel de l’organisation terroriste, mais un étendard qui s’est mis en retrait de la scène pour survivre, et faire survivre l’EI, en cas de disparition. « Al-Baghdadi n’est plus au courant de ce qui se passe dans le détail sur le terrain », explique al-Hashimi. Après onze mois de silence, al-Baghdadi est toutefois réapparu la semaine dernière. Dans un message audio, il appelle ses troupes, aux abois, à « résister ».
Aujourd’hui, « Baghdadi dépend complètement de ce comité de procuration, ajoute al-Hashimi, mais la communication entre lui et ses proches est devenue presque impossible ». D’où une certaine improvisation et des litiges accrus entre Irakiens et étrangers, selon Hussein Allaoui.
«Daech se calcifie. Après les défaites de Mossoul et Tall Afar, la direction a supprimé des wilayas » (provinces) pour les fondre dans « une wilaya al-Badia », du nom du désert syro-irakien qui constitue son dernier refuge le long de l’Euphrate après la chute jeudi de la ville de Hawija. C’est là entre la ville syrienne d’al-Mayadin et la région irakienne d’al-Thartar au nord de Ramadi, où les forces irakiennes sont encore la cible de nombreuses attaques, que se cachent la plupart de ses dirigeants.
Peuvent-ils compter sur l’appui de tribus sunnites ? « Oui, estime alHashimi, notamment celles qui ont été victimes des exactions » des miliciens chiites, alliés de l’Iran.
Des effectifs qui fondent
Daech a cependant préparé son retour à la clandestinité en implantant des cellules dormantes ou résilientes, capables, le moment venu, de passer à l’action. « À Diyala par exemple, la première province qu’on a libérée fin 2014, déclare au Figaro Hadi al-Améri, l’un des principaux chefs des milices chiites, Daech continue de mener des opérations. Après chacune d’elles, nous découvrons des bases logistiques. Les djihadistes se cachent dans les montagnes de Hamrin, ils profitent du désert et des vallées ».
Au fil des défaites, l’effectif djihadiste a fondu. Bagdad disposerait d’une liste de 21000 Irakiens et étrangers, liés à Daech au moment du déclenchement de la bataille de Mossoul, en octobre 2016. Depuis, 3 000 sont détenus dans des prisons irakiennes, et 10 000 environ ont été tués dans les combats. Où sont passés les 8 000 derniers ? Sommairement exécutés par les forces de sécurité irakiennes ? Repassés à la clandestinité ? Partis à l’étranger ? Un peu des trois probablement. « Les Irakiens regrettent d’avoir exécuté de nombreux commandants djihadistes, confie Hisham al-Hashimi, car ils se sont privés de renseignements utiles sur les cellules dormantes. »
« Des combattants qui ont réussi à fuir sont retournés dans leurs tribus qui resserrent les rangs », assure, de son côté, un diplomate occidental à Bagdad. Selon lui, « il est également arrivé que certains combattants aient payé des miliciens ou des membres de la police fédérale pour fuir ».
Daech compterait encore au moins 8 000 combattants, dispersés de part et d’autre de la frontière irako-syrienne. Pour échapper à la débâcle, entre 5 000 et 7 000 membres de l’EI et leurs familles ont fui en Turquie, depuis un an environ. Parmi eux, l’émir en charge des finances pour Mossoul, Salim Moustapha Mohammed al-Mansour, placé sur la liste noire du Trésor américain qui le soupçonne d’être à Istanbul, Mersin ou Adana.
Ces replis font planer la menace d’un retour vers l’Europe de djihadistes étrangers ou d’une migration vers d’autres zones d’instabilité, comme la Libye.
Dans son dernier message, al-Baghdadi n’a pas manqué d’appeler les « moudjahidins » où qu’ils se trouvent à frapper l’Europe, un Vieux Continent déjà visé cet été, qui pourrait lui aussi avoir à subir les « Jours de Zarqaoui ».