Mafia, secte ou réseau global du crime organisé ?

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Le « nouveau capitalisme criminel  » est une expression de Jean-François Gayraud qu’on doit évoquer après avoir vu l’excellent reportage-documentaire en trois volets, de Jérôme Fritel et Sofia Amara : « Hezbollah l’enquête interdite ». La milice iranienne qui écrase le Liban révèle son vrai visage de pieuvre tentaculaire du crime organisé et de la narco-économie. Elle serait devenue un acteur politique global d’un monde mené, tambour battant, par le trading à haute fréquence des marchés boursiers et des circuits sophistiqués de blanchiment de l’argent sale. Le Liban, comme État, n’est qu’un gîte d’étape aux réseaux du crime organisé dont l’unique obsession est : pouvoir et profit financier.

 

 

Mafia? Secte? Association de malfaiteurs? Puissance politique non-étatique? Qu’est donc ce Hezbollah que révèle le haletant documentaire que nous avons vu la nuit du 5 février, au milieu du fracas de la foudre et du hululement de la tempête, avant de subir les secousses trépidantes d’un séisme qui paraissait une éternité. Quelle nuit ! Une nuit de fin du monde où les ténèbres libanaises, par manque total de courant, étaient secouées par une authentique panique ontologique provoquée par le séisme.

Le public libanais, amateur de sensationnel et de politologie bavarde, est demeuré sur sa faim. Non, les réalisateurs de l’excellent documentaire d’investigation, n’ont pas révélé si le prochain président de la narco-république libanaise sera Gebran Bassil ou Suleiman Frangié ou un autre obligé maronite du Hezbollah. Cette question, très secondaire, ne fut même pas abordée. De même, le trépidant reportage n’a pas joué le rôle d’un substitut à l’enquête judiciaire sur l’explosion au port de Beyrouth. Par contre ce documentaire a révélé un fait inédit dans les annales du crime organisé de type mafieux, à savoir l’émergence à l’échelle globale d’un nouveau type d’organisation criminelle en réseau, dont l’objectif est double : le pouvoir et le profit financier. Ce type de crime organisé, à l’échelle planétaire, a le profil d’un pouvoir pseudo-étatique, quasi-souverain, non réglementé par le droit mais par la seule force violente immorale. Est-ce une nouvelle mafia semblable à la Cosa Nostra, la ’Ndranghetta, à leurs consœurs japonaises, russes et chinoises? Il y a lieu d’oublier les romans de série noire d’après-guerre ainsi que les productions hollywoodiennes sur les bas-fonds de Chicago et de New-York. Les activités criminelles qui y sont étalées sont le fait de groupes marginaux, agissant dans l’ombre. Ils sont loin d’avoir les dimensions du Hezbollah.

Émergence d’un empire criminel
Le reportage de Fritel-Amara nous montre tout à fait autre chose. Un visage nouveau du crime à l’échelle internationale représenté par le Hezbollah, organisation hors-la-loi mais maîtrisant parfaitement les arcanes de tous les réseaux de la narco-économie et du blanchiment de l’argent sale via certaines banques libanaises. « Financiarisé, mondialisé et dérégulé à l’excès, le capitalisme n’est-il pas devenu criminogène? » demandent Jean-François Gayraud et François Thual. La crise économique et financière du Liban, à l’instar de celles du Japon, d’Albanie, d’Espagne ou encore du Venezuela et de Colombie, ne dénoncent-elles pas ce visage criminel du capitalisme hyper-financiarisé, globalisé et dérégulé à l’excès ?

« Désormais, sous l’action de puissances criminelles, les États eux-mêmes se trouvent contestés dans leur existence et doivent parfois battre en retraite ». De nouveaux empires criminels sont en train d’émerger. Le Hezbollah en serait un modèle.

Pour Raymond Aron toute puissance repose sur un trépied : l’espace (lieu, territoire) ; les ressources (matérielles et humaines) ; la mobilisation collective (solidarité, discipline, commandement). Les mafias traditionnelles se conforment à ce schéma mais demeurent un phénomène criminel local, non-étatique. Dans le cas du « capitalisme criminel » une mafia comme le Hezbollah dispose de deux critères supplémentaires qui amplifient sa portée et sa puissance. D’une part, il se déploie en réseau global qui multiplie ses capacités de nuisance. D’autre part, grâce à la complicité de la caste dirigeante libanaise corrompue jusqu’à la moelle, il a réussi à effectuer le rapt de l’État. Il n’est plus un lobby de pression sur certains leviers de commande. Il a détourné à son profit les attributs de l’État libanais (souveraineté, utilisation de la violence) sans tuer ce dernier, ce qui lui confère un statut d’interlocuteur diplomatique en lieu et place du Liban.

Quelle portée politique du documentaire Fritel-Amara ?
Sur le plan international, il est clair qu’il y a collusion d’intérêts, politiques et financiers, entre l’organisation criminelle Hezbollah parrainée par l’Iran, et certaines puissances soucieuses de leurs avantages économiques comme la France et les Etats-Unis. Le documentaire est sans appel dans ce domaine. L’enquête de la DEA américaine a été semble-t-il décapitée par l’administration américaine et par le pouvoir français. La raison d’État prime. Le Hezbollah est réduit à une dimension de politique intérieure libanaise. Tout l’organigramme criminel, patiemment identifié, est déconstruit. C’est ainsi qu’il y a lieu de soupçonner le blocage de l’enquête de l’explosion sur le port de Beyrouth. Serait-ce pour protéger la raison d’État? Quel État?

Sur le plan interne libanais, ce reportage est accablant pour la caste dirigeante. Ils savaient tous, plus ou moins, qui est Hezbollah. Tous, sans exception, ont fait semblant de croire en sa dimension spirituelle et religieuse, simple masque cachant mal les émanations sulfureuses de sa nature. Tous, sans exception, ont laissé croire qu’ils pouvaient le « libaniser » c’est-à-dire le faire rentrer dans le jeu des tractations sordides des compromis interconfessionnels. Tous, sans exception, y compris les tenors du 14 Mars, ont affirmé vouloir coopérer avec une organisation fondée sur la terreur et la violence assassine. Tous connaissaient la nature de cette organisation. L’ancien chef de l’État, au nom des droits chrétiens spoliés, a couvert les activités du Hezbollah. Tous, sans exception, ont fait semblant de croire aux embrassades islamo-chrétiennes si chères à la secte. Tout ce monde, sans exception, est aujourd’hui justiciable. Tous sont-ils également coupables? Certainement pas. Mais tous demeurent justiciables.

Mais surtout, aucun homme politique proche du Hezbollah ou ayant indirectement collaboré avec lui ne doit pouvoir accéder à un poste de responsabilité comme la présidence de la république, le commandement de l’armée et le gouvernorat de la banque centrale. Un non catégorique doit être opposé à quiconque bénéficie de la couverture du Hezbollah. C’est à ce prix que le citoyen libanais fera preuve que « tout est perdu sauf l’honneur ».

acourban@gmail.com

Ici Beyrouth

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