Par Pierre Prier
INTERVIEW – Ignace Leverrier, ancien diplomate en poste à Damas et auteur du blog «Un œil sur la Syrie», analyse les conséquences de la création par le Conseil national syrien (CNS), principal représentant de l’opposition, d’un «Bureau militaire consultatif»
La création de ce bureau est-elle une bonne idée?
C’est au moins la réponse à une nécessité. Un certain nombre de dirigeants du CNS ne se sont pas résolus à cette solution de gaieté de cœur. Mais ils se rendent compte que s’ils n’organisent pas eux-mêmes l’arrivée des armes, elles seront introduites en Syrie hors de tout contrôle. Des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar sont déjà prêts à armer la rébellion. Une prolifération et une dissémination des armes hors de tout contrôle risqueraient de faciliter une guerre civile.
Mais la création de cet organe ne signale-t-elle pas justement que l’on bascule dans une guerre civile?
Pas pour l’instant. L’Armée syrienne libre est une force de défense. Elle ne tire pas sur des civils. Le Bureau militaire se donne pour but de renforcer l’ASL et de rassembler tous les groupes dans le cadre d’une stratégie unifiée de défense. Le Bureau aura pour tâche de définir ce qu’il entend par là: par exemple, si l’on sait qu’une unité de l’armée gouvernementale doit lancer une offensive contre une ville, l’attaque préventive de leur caserne entre-t-elle dans une stratégie de défense? Il faudra qu’ils y réfléchissent.
Est-on en train de voir naître un état-major de la rébellion?
Le CNS a indiqué qu’il comptait plutôt faire du Bureau consultatif une sorte de ministère de la Défense, chargé de définir des orientations et non de planifier des opérations.
Le combat ne s’annonce-t-il pas très inégal?
Non, car l’objectif de l’Armée syrienne libre n’est pas de s’opposer frontalement aux forces du régime. Elle n’aurait alors aucune chance. En revanche, elle peut leur poser des problèmes dans le cadre d’une guerre asymétrique comme le Hezbollah l’avait fait face l’armée israélienne au Liban en 2006.
Une intervention étrangère reste-t-elle possible?
Le CNS hésite encore à en appeler ouvertement à une intervention internationale… que la communauté internationale préfère elle-même ne pas évoquer. C’est pourtant ce que réclame la rue syrienne: les manifestants demandent depuis longtemps la protection de pays étrangers. Le CNS essaie d’ailleurs d’en tenir compte en évoquant la création d’une «zone sécurisée» pour les soldats déserteurs et les réfugiés.
Si une telle zone était mise en place, elle devrait être protégée contre les attaques de l’armée syrienne. Il y a donc beaucoup de non-dits dans cette attitude. Le CNS ne veut pas prendre le risque d’être accusé de «traîtrise» en s’alliant avec l’étranger. Mais il n’aura peut-être pas le choix: faute d’aide étrangère, les Syriens de l’intérieur pourraient abandonner les manifestations pacifiques et se résoudre à prendre les armes contre d’autres Syriens, perçus comme soutenant le gouvernement. Avec le risque de basculer alors dans une véritable guerre civile.