L’impossible intégration politique du Hezbollah

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Le Liban vit une crise politique et institutionnelle sans précédent depuis son indépendance. A l’absence d’un président s’ajoute une fermeture imposée du parlement et une paralysie du gouvernement. Rien ne permet de dire que la crise, malgré les interventions arabe et internationale, trouvera rapidement une porte de sortie. Une partie de la classe politique persiste à entretenir l’espoir d’une hypothétique acceptation par le Hezbollah des règles de jeu prescrites par la constitution. Pourtant, dans ses déclarations perpétuellement répétées, ce dernier affirme le contraire : il ne remettra pas ses armes, il ne rendra pas à l’Etat ce monopole, et il refusera le jeu politique dans les conditions actuelles. Sa stratégie, inséparable de ses liens économiques et politiques avec l’Iran, ne peut faciliter une solution à la crise. Du coup, c’est le problème du Chiisme version iranienne que le « parti de Dieu » pose au pays. Comment, alors, assurer la stabilité des institutions et l’équilibre très fragile de ce système politico-confessionnel, presque unique ?

Le Chiisme version Hezbollah

Elle est hâtive, sinon dérisoire, toute comparaison du « Chiisme », dans sa forme actuelle, et du « Maronisme » de jadis. Elle est inefficace, car ces deux phénomènes politiques sont fondamentalement opposés, tant au niveau de l’expression politique que de l’attitude à l’égard de l’Etat. Faut-il voir dans cette analogie, malheureusement assez répandue, une opération visant à légitimer la stratégie hégémonique du Hezbollah sur le Liban et l’Etat ? Comme pour banaliser le phénomène et dire que la roue ne fait que tourner. Poser cette question ne signifie aucunement, de point de vue historique, un refus de redéfinir le pacte fondateur de l’Etat du Liban sur des bases nouvelles qui devraient assurer une participation claire et équitable entre les communautés. Il s’agit d’une participation et non d’un partage, car il s’agit de la responsabilité politique de chaque communauté vis-à-vis de l’ensemble. C’est une question de valeur politique et non, comme le pense le Hezbollah, de valeur numérique.

Le Chiisme n’est pas le Maronisme. D’abord d’un point de vue historique, ce dernier s’est défini dans le cadre de la création du Liban, de son unité politique. Le Maronisme, par conséquent, est un phénomène politique libanais lié à la création d’un Etat, d’une identité et d’une entité territoriale reconnue par la communauté internationale. Alors que, jusqu’à une date récente, la communauté chiite se faisait représenter par des acteurs locaux. Ceux-ci assuraient une gestion minimale des besoins de la communauté et une participation politique limitée, sinon marginale, au niveau national. La communauté chiite ne devient un acteur politique national décisif que plus tard, à la faveur de deux moments historiques. Le premier, de nature idéologique (le mouvement de l’Imam Moussa el-Sadre), aurait pu intégrer cette communauté dans la réalité politique libanaise. Le deuxième est à la fois politique, idéologique et militaire, né dans le sillage de la révolution islamique en Iran et ses conséquences sur le Chiisme transnational. Tout sépare l’expression politique de ces deux communautés, leur structuration respective ainsi que l’idéologie. Le Maronisme n’a jamais caché son adhésion aux idées de la démocratie politique et à un libéralisme économique, ouvert au monde, en particulier à l’Occident, au contraire du Chiisme dans sa version actuelle.

Ce rappel, bien qu’il soit très court, permet de situer l’action politique du Hezbollah, en tant que représentant politique, idéologique et social de la communauté chiite au Liban. Ce parti, nouveau sur la scène politique nationale (fondé par l’Iran et en particulier par les Pasdarans en 1982), est devenu hégémonique : Il est pratiquement impossible, en tout cas à l’heure actuelle, de considérer le Mouvement Amal ou d’autres groupements chiitse comme acteur prépondérant sur la scène nationale. Le mouvement de M. Hassan Nasrallah est hégémonique au niveau de la communauté chiite sans aucun doute. Mais il tend à le devenir aussi au niveau national en imposant ses choix politiques grâce, pour le moment, aux moyens encore politiques, parmi lesquels la création d’une constellation de leaders locaux et de mouvements politiques, leviers dans leurs communautés. Faut-il rappeler que les moyens coercitifs sont disponibles et qu’on les agite très souvent ces jours-ci. Ce constat doit être pris en considération pour toute analyse politique de la société libanaise et de son avenir. Hezbollah est par excellence un acteur stratégique majeur dans le pays.

La stratégie de l’acteur hégémonique

Hezbollah n’est aucunement un acteur stratégique sur la scène nationale au même titre que les autres prétendants des différentes communautés libanaises. Il est transnational, aussi bien par l’histoire de sa fondation que par sa structure politico-religieuse et par son monde d’emprise sur la communauté chiite. Ce parti s’intègre plutôt dans un cadre régional et acquiert en conséquence, au niveau du Liban, une fonction locale : la structure décisionnelle stratégique se trouve ailleurs qu’au Liban. Les dirigeants affichent clairement la centralité politique de l’autorité du guide de la république islamique d’Iran, M. Ali Khamenei. Les fonds versés annuellement par Téhéran au parti s’élèvent à un milliard de dollars. Cette somme ne comprend pas l’aide militaire. Le parti affirme avoir plus de vingt mille missiles, dont une partie pourrait, selon les Israéliens, atteindre la ville de Haîfa, à 200 km au Sud des frontières libanaises. A l’heure actuelle le Parti pourrait mobiliser, selon une enquête du quotidien libanais el-Nahar, 40 000 hommes ayant effectué leur entraînement en Iran.

Les différentes stratégies du parti-confession à l’égard du territoire national, des institutions et des valeurs historiques de la société libanaise démontrent que sa politique obéit à des impératifs de nature supranationale. L’hégémonie du parti sur la communauté chiite s’inscrit, tout comme l’accumulation d’un arsenal militaire sans précédent pour une résistance nationale, dans cette fonction de relais de la stratégie régionale iranienne. L’intimidation et les brimades sont utilisés, parmi bien d’autre moyens, pour conforter l’emprise et faciliter le contrôle de la communauté.

Dans cette logique hégémonique et répressive, contrôler un territoire constitue aussi un impératif. Il est considéré ni plus ni moins que comme une terre de guerre et d’occupation : la guerre de 2006 avec Israël démontre le peu d’importance accordée à l’Etat et au pays. Le parti suit une politique d’occupation de la terre publique : constructions illégales et usurpation des propriétés privées à Beyrouth, dans le Sud et la région de la plaine de la Bekaa. Maintenant encore, on assiste à une politique d’achat de terres sous prête-noms dans le sud du pays, dictée par une nécessité stratégique de nature militaire, soi-disant « pour protéger la résistance de l’ennemi israélien ». L’argument sert comme arme de propagande pour contrer toute contestation. Néanmoins, on serait tenté par une comparaison avec ce qui se passe en Irak où, à une échelle plus grande et sans précédent, les différents mouvements chiites mènent une sorte « de nettoyage ethnique » par la force, alors qu’au Liban cette pratique apparaît comme le résultat d’un « fait accompli démographique». Les zones tombées sous la coupe du Hezbollah se transforment vite en régions militarisées et sécurisées à outrance, reliées par un réseau autonome de télécoms.

Les institutions n’échappent pas à la logique d’occupation dans le cadre de cette « stratégie de fait accompli ». L’occupation des postes administratifs est une pratique courante au niveau de l’échelon de la première catégorie : la nomination d’un chiite à un poste à la place d’un maronite ou d’un sunnite crée un précédent, désormais le poste est attribué définitivement à la communauté chiite. Les exemples sont nombreux partout y compris dans l’armée et dans l’ensemble des institutions sécuritaires. Ce phénomène s’accompagne par la suite de l’occupation d’autres échelons grâce a un système de clientélisme et parfois en faveur du poids numérique. L’université libanaise en constitue un exemple flagrant. « L’Etat c’est nous, tribus chiites ». Au Liban, Hezbollah devient la patrie, un genre d’appartenance protonational. Certains parlent déjà d’un Etat à l’intérieur de l’Etat libanais, signifiant le danger qui guette le pays.

Nous pouvons inscrire dans ce cadre d’appartenance et de différenciation les coutumes et les valeurs codifiées par les mollahs et imposées par les cadres du parti. Outre le tchador iranien pour les femmes, la barbe bien taillée et l’absence de cravate pour les hommes sont de rigueur. Ils manifestent l’adhésion aux idées du parti et l’appartenance communautaire. Les séparations de sexe sont de mise y comprit pour les jeunes filles et garçons. La séparation stricte comprend les jeux : pas de foot pour les jeunes filles, pas de jeu mixe (y compris de cartes) non plus.

Si le quotidien est codifié, le temps n’y échappe pas non plus. Le calendrier est structuré selon un ordre spirituel, politique et guerrier propre au parti de Dieu. Ordre social et hiérarchie divine se confondent grâce à l’art d’une généalogie spécifique au Chiisme. Bref, tout formate ainsi la conscience collective. Les cérémonies dédiées à la mémoire des « martyrs », tout comme l’apparition et le discours du chef, constituent des moments clés dans l’histoire au quotidien de la communauté. Elles ont pour objectifs le maintien de la communauté en mobilisation permanente (technique éprouvée par les iraniens) et sa cohésion autour d’un chef et d’un parti. Résultat, la mémoire historique n’est plus libanaise mais uniquement chiite (pas de partage de patrimoine).

Conclusion

Faire sortir le pays de ce dilemme, qui s’appelle Hezbollah, constitue l’enjeu principal. Une partie de la classe politique libanaise commence à reconnaître que la sortie de la crise dans les rapports de forces d’aujourd’hui est une illusion. Ce parti ne pourrait participer, dit-on, à une solution ni avec sa structure actuelle ni du fait de sa fonction stratégique. Il forme en effet une partie intégrante de la structure du pouvoir iranien, et de sa géopolitique dans la région. Sa puissance militaire et sa stratégie à l’égard de la communauté chiite constituent deux aspects de la stratégie globale iranienne, une projection de la puissance iranienne au niveau du Moyen Orient. C’est la raison pour laquelle on dit que Hezbollah est la plus belle réussite de Téhéran.

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