Liban: Le Hezbollah pris en étau entre un cabinet politique sans tiers de blocage et un cabinet neutre

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L’ÉCLAIRAGE

Le Premier ministre désigné Tammam Salam a accepté de donner au chef du Front de lutte nationale, le député Walid Joumblatt, un délai qui expire à la fin de la semaine afin de parvenir à une formule d’accord entre les différentes parties pour former un cabinet politique rassembleur en vertu de la formule dite des « trois huit », mais revue et corrigée. Si cet accord politique sur une formule unificatrice s’avère impossible, le Premier ministre désigné présentera au début de la semaine prochaine au président de la République, Michel Sleiman, une formule de cabinet neutre et non politique. M. Salam voulait déjà proposer au chef de l’État une formule de cabinet neutre hier ; c’est toutefois la médiation de Walid Joumblatt qui, à la demande du président de la Chambre Nabih Berry, a reporté d’une semaine la démarche du Premier ministre désigné.

Selon un ancien ministre, les contacts entrepris par Michel Sleiman et Tammam Salam durant les fêtes ont débouché sur un accord entre les deux hommes sur le fait de former un cabinet non politique avant le 10 janvier. Le chef de l’État s’est empressé d’informer le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, de la démarche. Le patriarche a aussitôt exprimé son soutien indéfectible au président Sleiman, appelant à la formation d’un cabinet neutre dans les plus brefs délais pour mettre sur pied un pouvoir responsable à même d’organiser l’échéance présidentielle. Mais le 8 Mars a pris peur de l’initiative du tandem Sleiman-Salam. C’est pourquoi Nabih Berry, sollicité par le Hezbollah, s’est alors tourné vers Walid Joumblatt. Le président de la Chambre a également adressé, par le biais de l’un de ses conseillers, une mise en garde au patriarche Raï selon laquelle la formation d’un cabinet neutre torpillerait l’échéance présidentielle, et qu’il faudrait donc choisir entre le gouvernement et la présidentielle…

Mais Nabih Berry ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Parallèlement à sa manœuvre en direction du patriarche maronite, et de son sponsor de la médiation menée par Walid Joumblatt, il a lancé une nouvelle initiative visant à rapprocher la date de la présidentielle, en s’inspirant de l’exemple du mandat Frangié, suivant la logique selon laquelle c’est l’élection d’un nouveau président qui mettrait fin au conflit politique et qui permettrait de résoudre la crise et de former un cabinet.

De toute évidence, la dynamique initiée par Nabih Berry en direction de Mgr Raï visait à modérer l’enthousiasme de ce dernier à l’égard du président Sleiman. L’objectif du président de la Chambre était, partant, d’isoler le chef de l’État au sein même de sa communauté et de l’affaiblir. Effectivement, la manœuvre a réussi et le patriarche maronite a changé de position au sujet du cabinet neutre. Certains de ses conseillers ont même été jusqu’à attaquer cette formule. Cela a incité le président Sleiman, dès son retour de voyage, à envoyer des émissaires chez le patriarche pour comprendre son revirement. Ces derniers sont revenus de Bkerké avec l’explication suivante : le patriarche soutient ce que fait le président Sleiman, mais a peur pour l’avenir de l’échéance présidentielle et préfère ainsi la formation d’un cabinet politique rassembleur… Le revirement de Mgr Raï a également conduit une délégation du courant du Futur à se rendre au patriarcat maronite pour s’enquérir des raisons de ce changement soudain. De même, des milieux parlementaires chrétiens du 14 Mars n’ont pas caché leurs craintes de voir un fossé se creuser progressivement entre Baabda et Bkerké en raison des positions du patriarche, ce qui est effectivement l’objectif recherché par le 8 Mars…

Une fois le soutien de Bkerké au chef de l’État neutralisé, le 8 Mars s’est empressé d’encercler Tammam Salam pour le neutraliser à son tour et l’empêcher de former un cabinet neutre. C’est pourquoi le 8 Mars a abandonné la formule dite des « 6-9-9 », qu’il considérait pourtant comme sacro-sainte, et s’est rabattu sur celle des « 8-8-8 », mais révisée à la sauce joumblatienne, c’est-à-dire avec l’idée d’octroyer à chacun du 14 et du 8 Mars un « ministre-roi » supplémentaire, issu du quota des indépendants. Tammam Salam a refusé cette formule. Joumblatt a aussitôt proposé que le ministre-roi provienne de son propre quota. La formule proposée joignait finalement le quota des ministres du Premier ministre désigné à ceux du 14 Mars (huit ministres), le chef du PSP et le président de la République se réservant le quota des indépendants (huit ministres). Il reste qu’aucun accord n’a pour l’instant été finalisé, en dépit des contacts menés par Walid Joumblatt auprès de MM. Sleiman, Berry et Salam. Waël Abou Faour s’est ainsi rendu chez Nabih Berry, tandis que M. Joumblatt recevait l’émissaire du président de la Chambre, Ali Hassan Khalil, et le responsable sécuritaire du Hezbollah, Wafic Safa.

De tout ce va-et-vient, il ressort finalement que Tammam Salam reste attaché aux règles qu’il avait lui-même posées pour la formation du cabinet : un gouvernement politique rassembleur sur base de la formule des « 8-8-8 », sans tiers de blocage, ni « ministre-roi » ou « ministre-pivot », mais sur base de quotas clairs et purs, avec rotation au niveau des portefeuilles ministériels. C’est à lui aussi que reviendrait le choix des ministres et l’attribution des portefeuilles en concertation avec le chef de l’État. Salam refuse en effet que chaque partie désigne ses ministres et choisisse les portefeuilles qu’elle souhaite obtenir.

Un ministre estime ainsi qu’il existe une orientation visant à former un cabinet politique sur base de la formule des « 8-8-8 », au sein duquel le tandem Sleiman-Salam choisirait les noms des ministres et l’attribution des portefeuilles, et éviterait d’adjoindre le triptyque peuple-armée-résistance et la déclaration de Baabda à la déclaration ministérielle, se contentant d’une formule vague et compromissoire. D’autant que la durée de vie du cabinet n’excédera pas les quatre mois en raison de l’échéance présidentielle, et que le cabinet devra sans tarder s’attaquer aux dossiers de la vie quotidienne plutôt que de perdre son temps à rédiger des déclarations ministérielles. Sans compter que le gouvernement formé, quel qu’il soit, obtiendra immédiatement un soutien international appuyé.

Selon un ancien ministre, la formule proposée constitue une semi-victoire et une semi-défaite pour chacune des deux parties : le 8 Mars perd ainsi le tiers de blocage et le 14 Mars obtient une participation au sein d’un cabinet de « trois huit » qui ne fait pas mention du triptyque peuple-armée-résistance. Selon des sources bien informées, c’est Walid Joumblatt qui se chargerait d’arrondir les angles, Nabih Berry se chargeant, pour sa part, de convaincre le Hezbollah d’accepter la proposition. Quant à la grande question sur laquelle bloque jusqu’à présent le 14 Mars, en l’occurrence la nécessité d’un retrait du Hezbollah du bourbier syrien, il s’agit d’une décision qui n’appartient pas au parti chiite, mais aux gardiens de la révolution iranienne, et qui se trouve donc à Téhéran, notent les observateurs.

Mais pourquoi donc le Hezbollah a-t-il accepté d’abandonner la formule des « 6-9-9 »? Compte tenu des récents développements militaires et sécuritaires locaux et régionaux, le parti chiite serait à la recherche d’une couverture nationale et légale, quand bien même son secrétaire général prétend le contraire. Les développements régionaux ne font pas l’affaire du Hezbollah et il est contraint de s’adapter, selon un ancien ministre. Sans compter l’ouverture, dans une semaine, du procès des cinq membres du parti accusés dans l’affaire Hariri à La Haye, source de grandes craintes pour le Hezbollah.

L’intervention du président de la République, lundi, à la Chambre de commerce et d’industrie, constitue un tournant dans la crise ministérielle. Le chef de l’État l’a clairement exprimé : il est déterminé à former, avec Tammam Salam, un cabinet, politique si les parties arrivent à s’entendre avant la fin de la semaine, neutre, dès le début de la semaine prochaine, si elles en sont incapables. Mais il n’est pas admissible de maintenir un pays sans gouvernement en raison d’une crise politique. Michel Sleiman a lancé un dernier appel à la raison aux forces politiques du pays. Quant à Tammam Salam, il a d’ores et déjà préparé les formules qu’il entend proposer. Il attend, d’une part, la fin de la médiation Joumblatt auprès du 8 Mars et, de l’autre, tente de convaincre le 14 Mars de participer à un cabinet politique au côté du Hezbollah, en dépit de la position en flèche adoptée par la coalition à l’encontre du parti chiite depuis l’assassinat de Mohammad Chatah.

Walid Joumblatt réussira-t-il à concocter une solution acceptable ou échouera-t-il, ouvrant ainsi la voie à un cabinet neutre ? Selon un observateur, dans les deux cas, le Hezbollah n’aura aucune réaction, en dépit de la campagne agressive et persistante de dénigrement menée par le régime syrien et ses alliés contre le président Michel Sleiman.

L’Orient Le Jour

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