Les Occidentaux s’interrogent après les menaces nucléaires de Poutine

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Dans sa dimension militaire, le mot fait toujours peur. Et cela fait trois fois en moins d’un mois que Vladimir Poutine y fait référence, de manière directe ou indirecte. Le 8 février à Moscou, depuis le bout de l’immense table autour de laquelle il recevait son homologue français : « Nous n’avons pas la même puissance que l’Otan. Cependant, nous possédons l’arme nucléaire. »

 

Le 24 février, au premier jour de l’invasion de l’Ukraine, quand il a averti ceux qui tenteraient d’interférer dans ses actions : « Vous subirez des conséquences que vous n’avez encore jamais connues. » Dimanche, enfin, en ordonnant la « mise en alerte » de la force de dissuasion russe. Sachant que le pays possède toute la gamme des armes nucléaires stratégiques ainsi que des armes tactiques, la température est montée d’un cran dans certaines chancelleries. Mais toutes ont gardé leur sang-froid.

Car il s’agit sans doute, de la part de Vladimir Poutine, d’un moyen de pression supplémentaire destiné à soumettre le pouvoir ukrainien à la volonté russe. Ni les mesures d’intimidation depuis plusieurs mois, ni l’offensive militaire, qui se heurte à la résistance des Ukrainiens, n’ayant pour l’instant réussi à faire plier Volodymyr Zelensky, Vladimir Poutine brandit la menace ultime. Il envoie aussi de cette manière un nouvel avertissement aux Occidentaux, qui présentent désormais un front uni contre lui et ont commencé à armer les Ukrainiens. Sur le fond, la doctrine nucléaire russe n’a pas changé. Ses principes en ont été réaffirmés en 2020. Le Kremlin n’envisage pas de faire de la bombe nucléaire une arme de premier emploi. Son utilisation n’est envisagée que comme réponse à une attaque nucléaire contre la Russie ou encore à une agression qui mettrait en jeu « l’existence même de l’État ».

En tout état de cause, le déclenchement de l’arme nucléaire ne dépendrait pas seulement de Vla­dimir Poutine, mais aussi du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et du chef d’état-major des armées, Valery Guerassimov. Et, à voir leur regard, sur une vidéo, lorsque ­Vladimir Poutine leur a ordonné la mise en alerte de la force nucléaire, il n’est pas sûr que cette idée les enthousiasme…

Tant que les armes nucléaires russes n’auront pas été sorties de leur hangar et préparées pour l’action, la menace restera de l’ordre du symbole et de la rhétorique. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Vladimir Poutine l’utilise dans une crise. En 2014, pendant l’annexion de la Crimée, il avait déjà prévenu qu’il pourrait actionner l’arme nucléaire si les Occidentaux tentaient de faire ­obstacle à ses actions militaires. Le président russe a aussi déployé à plusieurs reprises des missiles ­balistiques Iskander dans l’enclave stratégique de Kaliningrad. Jusque-là, donc, l’annonce nucléaire ­russe, même « inacceptable » pour Washington et « irresponsable » pour le secrétaire général de l’Otan, paraît surtout destinée à faire monter les enchères avec l’Ukraine.

Mais le plus inquiétant est ailleurs. Il tient en une phrase : Vladimir Poutine est-il encore l’être rationnel avec lequel les responsables occidentaux disent avoir traité pendant des années ? « On ne mobilise pas sa dissuasion nucléaire pour répondre à des sanctions économiques ou des propos de l’Occident jugés “agressifs” ! », note un haut diplomate français proche du sujet. « À l’époque, poursuit-il, quand on négociait avec Vladimir Poutine, on pouvait obtenir de sa part quelques concessions. On avait des débats construits. Ça n’a plus l’air d’être le cas. Les décisions qu’il prend ont l’air d’être irrationnelles. »

Pour certains experts et responsables occidentaux, la folle décision de lancer une offensive majeure en Ukraine, comme ses menaces nucléaires en plein milieu d’une crise gigantesque, soulève une nouvelle question concernant l’état mental du président russe, qui depuis deux ans vit isolé dans son Kremlin, prisonnier d’une peur panique du Covid.

L’ancien directeur des services intérieurs américain James Clapper s’est récemment inquiété du changement de Vladimir Poutine, qu’il considérait comme un homme « pragmatique », « calculateur » et « rusé ».« Je pense personnellement qu’il est déséquilibré… Je m’inquiète de son manque d’acuité et d’équilibre », a-t-il affirmé. Même chose chez Emmanuel Macron, qui a conversé pendant cinq heures début février au Kremlin avec un président russe « différent » de celui qu’il connaissait, plus « dur » et plus « rigide », qui sans cesse revenait à l’histoire en la réécrivant. Des connaisseurs de la Russie ont parfois l’impression que Vladimir Poutine a perdu le sens des réalités.

Ancienne conseillère de la Maison-Blanche sous George Bush, Barack Obama et Donald Trump, Fiona Hill a récemment évoqué la question dans une interview pour le site Puck. « Je pense qu’il se passe quelque chose. De nombreuses personnes, moi-même et d’autres, ont suivi Vladimir Poutine pendant toute la durée de sa présidence et nous nous demandons tous si quelque chose d’autre n’est pas en train de se passer. »

L’experte de la Russie et des questions de sécurité ajoute : « Il a l’air d’être plus dans l’émotion, plus concentré. Des rumeurs à Moscou rapportent qu’il est malade et que c’est l’une des raisons de son isolement, qu’il a dû subir des procédures médicales. Il pourrait prendre des stéroïdes pour une inflammation… Je pense que ça vaut vraiment la peine d’y réfléchir. » Surtout quand il brandit la menace nucléaire…

 

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