On pourrait l’appeler « M. Propre ». Depuis la prise de contrôle de la bande de la Gaza par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), ce commandant de police s’est assigné pour tâche de nettoyer ce territoire de toute criminalité. Son secteur à lui, c’est la drogue. Et tout ce qui ressemble de près ou de loin à un délinquant n’a qu’à bien se tenir.
« Kidnappeurs, voleurs, meurtriers, trafiquants, profiteurs, je m’attaque à tout ce qui est illégal et illicite », s’enflamme Mumtaz Elkhady. Assailli de coups de téléphone, submergé par sa tâche, le « nettoyeur de Gaza » ne sait plus où donner de la tête. Avant, il avait sous ses ordres une centaine de personnes. Maintenant, il n’en a plus que quelques-unes. Les autres refusent de venir travailler sous la houlette du Hamas, même s’il tente de les persuader qu’avec le Mouvement de la résistance islamique tout va rentrer dans l’ordre ; que le chaos qui régnait jusqu’à présent va disparaître. « Dieu nous a montré la voie. Ma tâche est sainte et je veux laisser mes empreintes sur la terre de Gaza. »
Mumtaz Elkhady se vante d’avoir déjà arrêté 70 trafiquants depuis le 15 juin, date du coup de force du Hamas. Il sort son petit carnet avec près de 400 noms. Ses prochaines cibles. Méticuleux, rigoureux, méthodique avec ses hommes vêtus de noir, il prépare ses interventions. Des opérations coup de poing auxquelles participe la Force exécutive, le bras armé du Hamas. Il ne lésine jamais sur les moyens et affirme que toute action se fait sous le contrôle de la loi et dans les règles de la procédure.
Ce qui est loin d’être l’avis du centre des droits de l’homme Al-Mezan. « Il n’y a pas de garanties, pas de recours. La justice ne fonctionne pas. Le Hamas a pris le contrôle de presque tout : les mosquées, les organisations caritatives, les centres de sports. Il n’y a plus de radio du Fatah, ni de télévision, explique Issam Younés, le directeur du centre. Nous avons demandé à deux reprises de visiter le centre de détention Al-Machtal. Nous n’avons pas eu l’autorisation. Il y a des arrestations, des mauvais traitements, des abus, des interrogatoires mais nous avons très peu de plaintes. Les victimes ont peur de venir témoigner. »
Depuis le 15 juin, une liste de 28 morts a été établie avec les circonstances de leur disparition. Tous ne sont pas des victimes du Hamas. Et il est difficile de faire la part des choses entre les règlements de comptes, les décès de blessés graves et les vendettas politiques. Ce qui est sûr, c’est que le Hamas a des listes de noms de personnes qui sont arrêtées et interrogées totalement hors du cadre légal, qui n’existe plus. Et qu’il a procédé de façon systématique à la recherche et à la collecte des armes. Le nouveau pouvoir règne en maître absolu sur la bande de Gaza.
« La Force exécutive n’a pas d’expérience du maintien de l’ordre. C’est une milice. Pas une police. Ils ne savent pas ce qu’est la procédure et il n’y a personne pour leur dire », déplore Issam Younès.
Hassan, un ancien membre de la Force 17 du président palestinien Mahmoud Abbas, raconte, exemples à l’appui, comment les forces de sécurité du Hamas se comportent à Khan Younés. « Tous ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux. Alors ils font ce qu’ils veulent. Le 9 juillet, ils sont intervenus dans un mariage car il y avait des chansons du Fatah. Ils ont blessé quatre personnes, en ont embarqué cinq autres et, à la recherche d’armes, ont fouillé cinq maisons. Un voisin a été tué parce qu’il ne voulait pas donner son revolver. Le bureau du Fatah n’a pu être rouvert. Chaque jour, il y a des incidents. C’est la chasse au fatahoui ! »
A Gaza, des banderoles jaunes barrent les rues pour souhaiter la bienvenue aux étrangers, dire aux commerçants qu’ils ne seront plus extorqués et que le Hamas est là « pour soutenir les faibles et arrêter les criminels ». Et il est vrai que la sécurité est revenue. Qu’il n’y a plus de tirs ni de barrages et que les habitants profitent de la plage.
Le prix des armes a chuté fortement au marché noir. La kalachnikov est passée de 2 500 dollars (1 800 euros) à 250 dollars et le cours des munitions a été divisé par quatre.
Comme si les motifs de querelle ne suffisaient pas, un nouveau est venu s’ajouter à une liste déjà longue. Le Hamas a décidé de fixer les jours de repos au jeudi et au vendredi alors que le gouvernement d’urgence en Cisjordanie a opté pour le vendredi et le samedi. Une décision qui engendre confusion et tension dans la bande de Gaza et permet aux islamistes de distinguer rapidement ceux qui se sont ralliés au pouvoir et ceux qui sont restés fidèles à Ramallah.
Le gouvernement d’urgence de Salem Fayyad a, de toute façon, décidé d’exclure des listes de paiement de salaires les fonctionnaires qui n’observent pas les mesures de boycottage du pouvoir représenté par Ismaïl Haniyeh, l’ancien premier ministre (Hamas) du gouvernement d’union nationale. Et Israël a décidé d’accentuer la pression sur la bande de Gaza en décidant, le 21 juin, de suspendre le code de douane. Ce qui, selon le centre Al-Mezan, revient « à rayer Gaza de la carte économique puisque pratiquement 100 % des importations et des exportations transitent par les ports israéliens ».
« La situation est préoccupante et on ne voit pas comment les choses peuvent revenir à la normale », constate Issam Younès. Si, pour le moment, une certaine sérénité règne dans la bande de Gaza et que les voitures s’arrêtent désormais aux feux rouges, une vraie inquiétude est perceptible quant à l’avenir. Un mois après le coup de force, le point de passage de Rafah est toujours fermé. Six mille personnes attendent. Vingt-huit d’entre elles sont mortes.
Mercredi 11 juillet, des inconnus ont tenté de faire sauter le mur qui sépare la bande de Gaza de l’Egypte. Le Caire a renforcé sa présence de l’autre côté de la route Philadelphie qui sépare les deux territoires. Certains prédisent un assaut d’habitants désespérés qui voudront sortir de ce qui devenu, plus que jamais, une nasse.
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