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La dictature syrienne a pu longtemps compter sur le renfort déterminant de la milice libanaise, jusqu’à ce que les deux parties paient spectaculairement le prix d’une telle alliance.
C’est durant l’été 1982 que les services syriens de renseignements militaires et les gardiens de la révolution venus d’Iran parrainent, au Liban, la création secrète du Hezbollah, littéralement le « parti de Dieu ». Les régimes de Hafez Al-Assad, à Damas, et de l’ayatollah Khomeyni, à Téhéran, ont en effet noué une alliance stratégique face à leur ennemi commun, Saddam Hussein, qui a osé, deux ans plus tôt, lancer l’armée irakienne à l’assaut de l’Iran révolutionnaire. La haine est inexpiable entre les dictateurs syrien et irakien, officiellement parce qu’ils prônent tous deux, au nom du même parti Baas, une forme de « socialisme arabe », chacun prétendant en être le seul champion.
La réalité est que le régime d’Al-Assad s’est jeté dans les bras de l’Iran pour échapper, déjà, à une vague de contestation populaire, écrasée à Hama, en mars 1982, au prix de dizaines de milliers de victimes. La fondation du Hezbollah permet à la dictature syrienne de disposer, avec cette milice pro-iranienne, d’un allié de choix sur la scène libanaise, voire régionale. Mais un tel partenariat, si profitable aux deux parties durant quatre décennies, vient de se retourner spectaculairement contre elles.
Un gagnant-gagnant de quarante ans
Le régime d’Al-Assad peut d’abord compter sur le Hezbollah pour combler le vide laissé par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), expulsée du Liban, en ce même été 1982, par l’invasion israélienne. La milice pro-iranienne, qui commet des attentats sous différentes appellations, porte aussi, en octobre 1983, un coup terrible aux contingents américain et français à Beyrouth (241 marines et 58 parachutistes tués), précipitant leur retrait du Liban. Non seulement le dictateur syrien consolide ainsi sa mainmise sur le pays du Cèdre, mais il s’offre le luxe d’agir en « médiateur » lors des tractations pour les libérations d’otages occidentaux aux mains… du Hezbollah. Une fois la domination syrienne sur le Liban parachevée, le Hezbollah participe, en septembre 1992, aux premières élections libanaises en vingt ans. Il s’impose depuis lors comme le soutien le plus solide de Damas au Liban, un soutien confirmé après que Bachar Al-Assad succède à son père, Hafez Al-Assad, en juin 2000. Le Hezbollah est même accusé d’avoir, sur ordre de Damas, éliminé, en février 2005, Rafic Hariri, l’ancien premier ministre libanais.
La vague de protestations populaires qui secoue alors le Liban contraint l’armée syrienne à se retirer du pays, après trois décennies d’occupation. Mais le Hezbollah oppose son alignement inconditionnel sur Damas à un tel soulèvement nationaliste, que l’assassinat de personnalités anti-syriennes contribue à étouffer au Liban. L’alliance entre Bachar Al-Assad et la milice chiite en sort consolidée, au point que le Hezbollah n’hésite pas, en février 2013, à s’engager directement en Syrie.
Le maître de Damas est en effet confronté à une insurrection que le soutien massif de Moscou et de Téhéran ne suffit plus à endiguer. L’engagement au sol du Hezbollah est déterminant pour compenser le manque de combativité des troupes loyalistes. Mais il s’inscrit dans le contexte plus large de l’intervention des gardiens de la révolution et des milices pro-iraniennes venues d’Irak au service de la dictature syrienne, notamment lors de la chute, en décembre 2016, du bastion anti-Assad d’Alep.
Un spectaculaire retournement
L’intervention du Hezbollah en Syrie transforme la milice libanaise en un acteur majeur de l’équation régionale, bien au-delà de la confrontation avec Israël qui l’avait jusque-là définie. A ceux qui critiquent le « Parti de Dieu » pour s’être détourné de son combat principal, le Hezbollah riposte avoir participé en Syrie à une « guerre orchestrée par les Américains et les sionistes pour faire plier la résistance ». Il inaugure même, en août 2023, dans l’est du Liban, un « musée du Jihad » qui fait la part belle aux batailles livrées en Syrie.
La direction du Hezbollah n’a cependant pas mesuré les risques d’infiltration auxquels elle s’exposait, durant de longues années, sur un théâtre syrien beaucoup plus poreux que les zones du Liban quadrillées par les miliciens chiites. La logique mafieuse du régime d’Al-Assad et la prolifération des « intermédiaires » plus ou moins vénaux, qu’ils soient russes, arabes ou iraniens, ont en effet permis au Mossad d’infiltrer en Syrie la chaîne de commandement du Hezbollah. L’explosion simultanée de bipers, en septembre dernier, ne représente, avec ses dizaines de victimes, que la face émergée d’une pénétration aussi massive de la milice libanaise par les services israéliens.
C’est bel et bien en Syrie que le Hezbollah, jusqu’alors protégé par une sécurité confinant à la paranoïa, est devenu vulnérable aux coups sévères que vient de lui porter Israël. Et c’est pour limiter les dégâts de tels coups que la milice chiite a dû replier ses forces sur le seul territoire libanais. Le régime Assad aurait dû logiquement coordonner un pareil retrait avec ses propres troupes. Mais c’est oublier que les forces gouvernementales se reposent depuis bien longtemps sur leurs alliés pro-iraniens pour tenir les lignes de front, occupées qu’elles sont à assurer la production et le trafic de captagon, une drogue de synthèse devenue la source majeure de revenus du régime Assad. On comprend désormais mieux la rapidité spectaculaire avec laquelle une coalition de milices anti-Assad a pu s’emparer en quelques jours d’Alep, puis de Hama, tout en poursuivant sa progression vers le sud.
Les mêmes facteurs qui avaient permis la victoire d’Assad et de ses alliés chiites en 2016 à Alep viennent d’y causer leur retentissant revers : le Hezbollah a cru pouvoir impunément guerroyer en dehors du Liban, tandis que la dictature syrienne a cru pouvoir indéfiniment dépendre de l’Iran et de ses affidés pour assurer sa propre sécurité.