Elle a eu 93 ans, en vertu du calendrier hébraïque. Herzliya lui a décerné la citoyenneté d’honneur. Ruth Dayan ne s’est pas reposée un instant. Dans la ville bédouine de Segev Shalom et dans le village palestinien de Kharbata, elle a fondé un atelier d’art et d’artisanat pour les femmes. Une fois ou deux par semaine, elle s’y rend toute seule en voiture. Elle est également occupée par d’innombrables questions humanitaires sur les territoires. Quelques mois auparavant, elle s’est rendu à Malte pour rencontrer la fille de Yasser Arafat, la petite fille de son âme sœur, Raymonda Tawil.
Lors de l’entretien, son fils, le cinéaste Assi Dayan, sort de sa chambre de l’appartement de Ruth au Nord de Tel-aviv. Elle lui demande de prendre congé pour se reposer un peu plus. La veille de l’interview, Maariv a publié un poème déchirant. Elle admire le livre « The End of conflict » d’Avinadav Begin, le petit-fils de l’ancien Premier ministre, et elle aide son biographe, Anthony David à s’atteler à la tâche. (David a également écrit une biographie de Salman Schoken, l’homme qui a acheté Haaretz dans les années 1930).
Elle me montre la première photo qui a été prise d’elle, elle est bébé dans les bras de sa mère. Sur le dos de la photo, il est écrit: « Ruth à 3 mois, 1917 »
Ruth Dayan, êtes-vous fière d’être Israélienne ? Avez-vous honte ?
Cela dépend. Je suis fière d’être Israélienne sur une base limitée. Chaque personne à sa propre identité Israélienne.
Quel est votre Israël ?
Mon Israël est le pays, les paysages que je vois quand je voyage du Nord au Sud. Les montagnes, l’océan- tout comme c’était à l’époque. Pendant un moment, je profite. Je me souviens quand on cueillait des anémones de différentes couleurs dans les collines qui entourent Nahalal. Je suis de Jérusalem, et là-bas, les anémones sont rouges. Je m’ennuie de l’ancien Israël, où il y avait encore des idéaux, quand nous nous sommes installés sur les terres.
Et nous avons expulsé ?
Nous n’avons pas expulsé. Pendant mon enfance, nous n’avons chassé personne.
Nous avons acheté ces lopins de terre. Depuis lors, beaucoup de choses se sont passées et, aujourd’hui le pays n’est plus le même. C’est un cliché de se demander comment nous sommes à l’état d’occupation et nous tentons d’en occuper de plus en plus. Je suis à un âge où je ne parle même plus de la paix. Nous ne savons pas comment faire la paix. Nous allons de guerre en guerre et cela ne s’arrêtera jamais.
À qui la faute?
La nôtre, principalement. Avec toute notre puissance, sommes-nous incapable de faire un pas?
Moshe Dayan était là lorsque cette occupation a commencé.
Non. L’occupation était la seule option restante. Rien d’autre n’aurait pu être fait. Moshe était le seul qui a effectivement conduit la politique de construction de ponts.
Peut-être que cela a perpétué l’occupation?
C’est possible. Je ne pense pas que cela a été le cas. Même Arafat, l’homme qui voulait m’embrasser lorsque nous nous sommes rencontrés, m’a dit qu’il admirait Moshe. Mais le chef jordanien du personnel m’a aussi dit en 1948: « Quel plaisir d’avoir votre mari comme ennemi ». Son comportement envers les Arabes était positif même après la guerre des Six jours. Il voulait voyager seul à Naplouse, il aimait être avec eux. Il avait un dialogue avec eux. Aujourd’hui, qui discute avec eux? Pour le gouvernement actuel, la paix n’est qu’un mot.
Avez-vous perdu l’espoir pour la paix?
Je pense que le sionisme a terminé son travail. J’ai souffert de nombreuses guerres et je ne peux ignorer le fait qu’ils ne veulent pas de nous. Quand je vais sur les territoires, je ne prends pas la peine d’inculquer l’espoir en eux. Par courtoisie, je leur dis que j’espère que quelque chose va changer, mais la détérioration, c’est terrible. Notamment la clôture. C’est quelque chose que je ne peux pas tolérer.
Les gens disent qu’il n’y a plus de terrorisme?
Oh, s’il vous plaît. « Il n’y a plus de terrorisme ». Rien ne sera en mesure de stopper le terrorisme, sauf le dialogue.
Shimon Peres a admiré Dayan. Quelle était l’attitude de Dayan envers Shimon Peres?
Moshe n’a jamais admiré personne. Peut-être Ben-Gourion. Il était comme un loup solitaire.
Quelle est la contribution que peut apporter Peres pour la paix?
Je pense qu’il peut encore beaucoup contribuer. Même si un président n’a pas à intervenir, il doit le faire. Il doit avoir un impact, même sur les gens. Les gens sont dispersés dans des groupes avec des points de vue différents et même les religions au sein de notre religion. Mon grand-père est diplômé de la Sorbonne, ma mère était une femme laïque, et ce n’est pas comme si j’entendais des voix provenant de l’au-delà.
Êtes-vous juives?
Je suis juste Israélienne. Ce fut un grand honneur de l’être, même quand j’étais encore une Palestinienne juive pendant mon enfance à Londres. Je suis la première des filles diplômées du Lycée Herzliya après Yehudi Menuhin, mon frère aîné.
À Londres, j’allais prier avec des filles Gentils.
Que pensez-vous de ce qu’il y aura ici?
Nous vivons au jour le jour. En Nahalal, 17 enfants ont été tués pendant la guerre d’Indépendance. Nous avons seulement pensé à aujourd’hui et rien d’autre.
Deux Etats ou un seul?
Il fut un temps où je pensais un Etat pour deux peuples. Maintenant, je vois que nous devons avoir deux états, car nous sommes réellement différents et il serait meilleur que chacun prenne soin de ses propres affaires. Nous sommes une foule qui ne peut pas s’entendre, même entre nous. Alors, est-ce que nous allons nous entendre avec eux?
Aujourd’hui, existe-t’il un homme politique que vous admirez et qui vous donne de l’espoir?
Avishay [Braverman, un député travailliste et ministre des affaires concernant les minorités]. Personne ne lui ressemble. J’ai été impressionné par son travail à l’Université Ben Gourion. Il pourrait très bien être Premier ministre, d’ailleurs il veut l’être.
Que feriez-vous si vous étiez Premier ministre?
Juste faire comme quand nous avons commencé, comme quand nous avons rencontré [le roi de Jordanie]Abdullah, et lorsque [Yitzhak] Rabin a essayé. Rabin aurait pu livrer la paix.
Jusqu’ici, seul le Likoud a fait la paix.
Ayons le Likoud, ayons n’importe qui. Actuellement, je suis en transe concernant Avinadav Begin. Il dit qu’il n’y a pas de Juifs, qu’il n’y a pas de musulmans. Il s’agit de la base. C’est ce que j’aime vraiment. Plus je lisais ce livre, plus j’étais terrassé. Il est très beginesque, tout comme son père et son grand-père. Il croit en quelque chose. Il ne va pas à Bil’in juste pour qu’on le voit là-bas. Il y va parce qu’il croit en lui.
Je veux vous lire un passage de son livre: « Avons-nous besoin de mots pour observer les bourgeons en développement, afin d’observer nos enfants, d’observer les gouttelettes de rosée qui scintillent au soleil du matin? Comment pouvons-nous aimer, si le mot amour n’est rien d’autre qu’un outil utilisé pour resserrer notre emprise sur ceux que nous avons de plus chèrs? »
Moshe Dayan disait toujours que j’étais romantique. Dans les lettres qu’il m’a écrites lorsqu’il était en prison, il écrivait toujours qu’un jour, on parviendrait à un état de tranquillité et que je resterais assise à proximité de lui et à tricoter pour lui. Et je porterai mon kilt écossais. Les gens ont toujours l’habitude de dire que j’étais une femme d’extrême gauche, mais j’aime ce pays.
Traduit de l’anglais par Sèrine Akar (serine.akar@gmail.com)