De notre envoyé spécial à al-Thoumama
À raison de trois heures de cours chaque jour pendant dix semaines, sanctionnées par un examen final, les détenus d’al-Thoumama apprennent à ne pas retourner dans le giron d’al-Qaida.
Les autorités saoudiennes ont ouvert des «centres de rééducation religieuse» pour remettre dans le droit chemin d’ex-détenus de Guantanamo et d’anciens moudjahidins d’Irak. Le «bon islam» y est enseigné.
«À quelles conditions pouvez-vous aller faire la guerre sainte en Irak ?», demande cheikh Ahmed Jilan. «Après avoir reçu le feu vert d’une autorité religieuse», répond un «élève», vêtu de sa tunique blanche. «Ce n’est pas suffisant, poursuit l’enseignant à la longue barbe noire. Pour accomplir le djihad, il faut aussi que vous respectiez les accords internationaux que l’Arabie a signés et que vos parents soient d’accord.» Nous sommes au centre de rééducation des terroristes d’al-Thoumama, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Riyad. Une prison édifiée au milieu du désert, mais aux conditions de détention plus souples que dans les autres geôles saoudiennes. Les mains posées sur le pupitre, une douzaine d’anciens djihadistes suivent le cours de religion du programme de réhabilitation des «égarés», que l’Arabie saoudite a lancé en 2004. Un programme ambitieux, à la mesure du défi posé par la menace d’al-Qaida dans le berceau du wahhabisme, qui a fourni 15 des 19 terroristes du 11 septembre 2001. Les activistes en phase de repentance ont entre 25 et 35 ans. Les uns ont été arrêtés à la frontière avec l’Irak. Les autres à leur retour de Bagdad ou du centre de détention américain de Guantanamo, où 140 Saoudiens ont été emprisonnés à partir de 2001. Pour remettre tous ses «soldats perdus de l’islam» dans le droit chemin, pas moins de 150 dignitaires religieux et psychologues sillonnent le royaume. Trois heures de cours chaque jour pendant dix semaines, sanctionnées par un examen final qui conditionne leur remise en liberté : Riyad entend bien gagner cette nouvelle guerre des idées. «D’abord on écoute le prisonnier, explique le docteur Abdulrahman al-Hadlaq, responsable du volet psychologique, on lui demande ce qui l’a conduit à faire le djihad. Puis, nous l’engageons dans d’intenses débats religieux pour lui montrer que l’islam qui lui a été enseigné n’était pas le bon.» Pour être plus convaincants, nombre d’imams sont eux-mêmes d’anciens repentis. Faciles à «retourner», la plupart de leurs nouveaux disciples étaient dépourvus de solides références religieuses au moment de leur basculement dans la lutte armée. «J’espérais trouver des frères en Irak, mais les djihadistes qui m’ont accueilli me demandèrent de tuer tout le monde, les chiites, les Américains, je ne savais plus qui était mon ennemi» , regrette Mohamed al-Sharif, un père de famille de 35 ans. «Nous ne les considérons pas comme des héros», prévient le Dr al-Hadlaq. Mais contrairement aux 10 000 Saoudiens partis faire le djihad anticommuniste dans les années 1980 en Afghanistan, les autorités cajolent cette dernière génération d’ex-moudjahidins. Quelques heures avant leur retour de Guantanamo, alors que l’avion s’apprête à atterrir à Riyad, le prince Mohamed Bin Nayef, chargé de la lutte antiterroriste, téléphone lui-même aux parents pour leur annoncer la bonne nouvelle. Pendant une semaine, ces derniers seront hébergés à l’hôtel, aux frais du royaume, avec leur rejeton. «Ils règlent le problème à la saoudienne, constate un diplomate occidental, en famille et en distribuant beaucoup d’argent.» Règle d’or de ce traitement psychologique : le prisonnier doit être le plus proche possible des siens. Sept centres comme al-Thoumama ont vu le jour et, au total, 250 prisons vont être construites à travers l’Arabie.
Ensuite, la prise en charge matérielle de l’ex-djihadiste est essentielle. «Sinon ce sera al-Qaida qui le fera», se défend al-Hadlaq. Ancien de Guantanamo, Khaled Joraini s’est vu offrir au terme de sa rééducation un appartement, un travail à la Bourse de Jeddah et une femme. «J’ai tourné la page», jure ce vieux briscard du djihad qui a passé quatre ans dans les maquis afghans en compagnie de Ben Laden. Pour la fête de l’aïd, chaque détenu a reçu une obole de 10 000 rials (2 000 euros) du ministère de l’Intérieur. Choqués, les proches des policiers tués dans des attentats islamistes ont alors rué dans les brancards. Officiellement, ce programme de réhabilitation est une réussite. Depuis 2004, 2 000 prisonniers l’ont suivi, dont 700 ont été relâchés après avoir renoncé à l’idéologie djihadiste. 85 % n’ont pas rechuté. Cette efficacité est pourtant remise en question. «Lorsqu’un imam coopté par le régime explique qu’attaquer la famille royale ce n’est pas bien, cela n’a aucun effet», souligne Abdulaziz al-Gassim, expert de la mouvance terroriste. Plus de 1 400 détenus n’ont pas voulu y participer. Quoi qu’il en soit, cette approche a le mérite de séparer le noyau dur des partisans d’al-Qaida des autres, ces milliers de sympathisants djihadistes sur lesquels les autorités peuvent aujourd’hui s’appuyer pour assécher le marais terroriste d’Arabie.