Gaza : la loi sans merci des «desperados»

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A Gaza, les escadrons du Hamas et les militants du Fatah se livrent à une guerre sans merci.

Un terrain vague qu’arrête une levée de terre, parsemée de bouteilles en plastique et de détritus, pour empêcher d’éventuels attentats-suicides. Derrière cette butte, un immeuble défendu par une grappe de jeunes miliciens aux maillots trop voyants. C’est là qu’habite Mohsen Mekdad, l’un des principaux leaders du Fatah dans la bande de Gaza, l’un des plus combatifs aussi, ce qui lui vaut d’être sur la liste noire des escadrons du Hamas. A plusieurs reprises, ceux-ci ont essayé de l’assassiner, tuant lors d’une tentative en mai deux de ses gardes du corps. Non loin de là, dans un autre bâtiment, on peut voir son ancien bureau soufflé par une roquette qui a noirci tout l’étage. «C’est vrai qu’ils veulent me tuer. Ils me considèrent comme athée», dit-il sans s’émouvoir particulièrement. Mekdad n’a jamais eu aucune illusion sur la trêve entre les deux frères ennemis palestiniens, qui selon lui a permis au mouvement islamiste de «récupérer ses forces et regagner le soutien de la population, qu’il avait perdu à cause des combats» interpalestiniens.

Ne rien céder. A l’entendre, on découvre que, même sur la défensive, le Fatah n’entend rien céder au Hamas. Comme si le triomphe de ce dernier aux élections législatives ne devait rien changer à la situation sur le terrain. Ce que refuse avant tout le parti du défunt Yasser Arafat, c’est que le mouvement islamiste puisse prendre le contrôle des tout-puissants services de sécurité qui représentent 70 000 hommes et dépendent de facto de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, et du Fatah. «Tout ce que veut le Hamas, c’est mettre la main sur ces services pour pouvoir ensuite liquider tous ceux qui lui sont opposés», résume Mohsen Mekdad. Faute d’avoir pu prendre le contrôle de ces polices – au nombre d’une dizaine, elles comptent notamment la Sécurité préventive, la Sécurité nationale et les Renseignements militaires -, le mouvement islamiste a créé sa propre force : la redoutable Force exécutive. Forte de 6 600 hommes très motivés, elle est aujourd’hui directement contrôlée par le Premier ministre, Ismaël Haniyeh. «C’est elle qui a provoqué tout ce bain de sang. Comment ne pas imaginer ce que fera Hamas une fois qu’il sera le maître des services de sécurité», ajoute Mohsen Mekdad.
Tueries. Pour le moment, le «bain de sang» n’incombe pas qu’au Hamas. S’il est avéré que les Forces exécutives du Hamas ont achevé d’une balle dans la tête des blessés de la Garde présidentielle – on peut voir cette scène d’exécution sur plusieurs sites palestiniens -, lors des combats de la mi-mai, les milices du Fatah n’ont rien à lui envier en matière de tueries. Pas davantage les hommes de la Sécurité préventive, l’une des polices secrètes les plus redoutées, que contrôle depuis l’Egypte l’invisible Mohammed Dahlan, le conseiller de Mahmoud Abbas pour la sécurité nationale.

Mardi, un diplomate occidental a pu voir trois Mercedes appartenant probablement à ce service de sécurité traverser à vive allure l’artère Ezzedine al-Qassan, au centre de la ville, avec à leur bord des hommes encagoulés qui tiraient des rafales sur les passants. Une fusillade qualifiée d’ «actes de desperados», qui peut s’expliquer par le fait que les auteurs de telles fusillades figurent déjà sur la liste des condamnés à mort par le Hamas. «Il y a des crimes commis des deux côtés parce que c’est une guerre civile . On trouve des barrages partout, où l’on exécute ou l’on enlève simplement à cause d’une barbe», indique Khaled Abou Illal, un autre responsable du Fatah et actuel porte-parole du ministère de l’Intérieur. Lui-même est doublement menacé: par Israël, d’une part, qui a tenté à deux reprises de l’assassiner, et par son propre parti, d’autre part, qui le considère comme un «traître» parce qu’il prône une alliance sans réserve avec le mouvement islamiste. «En fait, explique-t-il, le Fatah lui-même est divisé en deux: une tendance veut combattre l’ennemi israélien par tous les moyens. Une autre veut vivre côte à côte avec l’occupant israélien au détriment de tous les droits des Palestiniens.»

Mogadiscio. Dans la bataille en cours, les milices du Fatah apparaissent nettement en perte de vitesse. Elles ont ainsi perdu hier une importante base dans la partie nord de la bande de Gaza. Jusqu’à présent, hormis la Sécurité préventive, elles n’ont pas réussi à entraîner à leurs côtés tous les services de sécurité. D’où le récent appel à l’aide lancé par l’Autorité palestinienne à Israël. «Dans cette guerre, insiste Khaled Abou Illal, c’est ­Israël qui est le joueur fondamental. C’est lui qui commande la vie palestinienne en soutenant un camp, car il est convaincu que son intérêt c’est la déstabilisation de Gaza. Ce qui a précipité les affrontements, ce sont les livraisons d’armes qu’il a permises, de même que l’entraînement de certaines forces de sécurité.»

Certains quartiers de Gaza ressemblent déjà à Mogadiscio pendant la guerre entre clans. Chaque camp a désormais son hôpital, qui n’admet pas les blessés de l’adversaire , contrôle son université,  qui n’accueille que les étudiants qui lui sont favorables. Les barrages tenus par des hommes en cagoule maillent désormais l’enclave de Gaza d’un bout à l’autre. Membre de la Sécurité nationale (l’équivalent de la gendarmerie), Iyad ne peut plus guère se risquer hors de chez lui. Rentré à Gaza dans la foulée des accords d’Oslo, il a reçu des autorités israéliennes une carte d’identité avec un numéro qui l’identifie comme faisant partie de ceux qui sont revenus avec Yasser Arafat. «Je suis dès lors à la merci du moindre barrage tenu par le Hamas. Si ces hommes voient ce numéro, ils me kidnapperont immédiatement. Et ce qui m’attend alors c’est au mieux une balle dans les jambes, sinon dans la tête», raconte-t-il.

http://www.liberation.fr/actualite/monde/261104.FR.php

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