(Beyrouth, Correspondant)
Dans le débat sur la Syrie, la question des sanctions est l’un des sujets les plus houleux. D’un côté, le régime Assad et ses alliés crient au « terrorisme d’Etat » en assurant que la population civile est la principale victime de ces mesures. De l’autre, les Etats-Unis et l’Union européenne vantent un dispositif ciblé, qui vise uniquement la capacité de répression du pouvoir syrien. Dans cette empoignade, que l’urgence de la lutte contre le coronavirus a relancée, chacune des deux parties dit vrai et faux à la fois.
Les sanctions de Bruxelles et de Washington prennent deux formes : une liste noire de plusieurs centaines d’individus et d’entités, liés au régime Assad, qui sont mis à l’index (gel d’avoirs, interdiction d’entrée sur le sol européen, etc.) ; et des mesures visant des secteurs (banques, pétrole ou électricité), pour empêcher le régime de financer son effort de guerre et le priver de matériel pouvant être utilisé à des fins militaires.
Ces restrictions diffèrent de l’embargo onusien imposé à l’Irak à la suite de l’invasion du Koweït, en 1990. La Syrie continue à commercer avec des dizaines de pays. Des exceptions humanitaires sont théoriquement prévues pour l’alimentaire, le pharmaceutique et le médical. Le délabrement du système de santé syrien, porte ouverte à la propagation du virus, est avant tout le résultat de la politique de bombardement tous azimuts conduite depuis neuf ans par le régime syrien et son allié russe.
« Où va-t-on trouver des respirateurs »
« Une levée des sanctions est hors de question tant que le régime ne laisse pas l’aide humanitaire rentrer dans les zones hors de son contrôle, qu’il ne cesse pas ses attaques contre les civils et les structures de santé, qu’il ne relâche pas les détenus politiques entassés dans des prisons où le virus risque de circuler à toute vitesse, et qu’il n’accepte pas de discuter sérieusement d’une résolution politique du conflit, estime Samer Jabbour, un professeur de santé publique syrien installé à Beyrouth.
Reste que les sanctions ne sont pas toujours aussi calibrées que le professent leurs concepteurs. La pression exercée par les Etats-Unis sur le secteur bancaire syrien a transformé toute importation depuis la Syrie en un véritable casse-tête. Les entrepreneurs contournaient jusque-là cet obstacle en ouvrant des comptes à l’étranger, notamment au Liban, la base arrière de l’économie syrienne.
Mais cette fenêtre se referme du fait de la crise que traverse le pays du cèdre et de l’effet paralysant qu’a eu le vote de la loi César, en décembre 2019, aux Etats-Unis, auprès de nombreux établissements financiers. Ce texte, modelé sur les sanctions anti-Iran, menace de représailles toute entité étrangère qui « apporte un soutien significatif au gouvernement syrien ou qui conduit des transactions significatives avec celui-ci ».
« Toutes ces mesures entravent nos efforts contre le virus, soupire un médecin joint à Hama. J’essaie depuis des semaines de faire venir du matériel de laboratoire, même la Croix-Rouge internationale n’arrive pas à m’aider. » « Où va-t-on trouver des respirateurs, sachant que le secteur privé est incapable d’en produire localement ? », s’inquiète un homme d’affaires damascène.
A défaut d’un allégement des sanctions, auquel les Etats-Unis et l’Union européenne s’opposent pour l’instant, la solution passe par la création d’un mécanisme de financement ad hoc. En 2017, l’ESCWA, Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale, avait suggéré de mettre en place un tel système, dans le but d’accélérer le paiement des importations humanitaires. Mais à l’époque, ni Damas ni Bruxelles n’y avaient prêté attention.