Tel-Aviv et Ramallah sont les véritables capitales des deux nations. Faisons de la Ville sainte, avec ses mythes meurtriers, une ville ouverte, suggère une écrivaine palestinienne.
A Jérusalem et en son nom, des abominations ont été commises, des vies ont été emportées, des flots de sang ont coulé. Et rien ne permet d’espérer que cela cessera de sitôt. Jusqu’au VIIe siècle, la ville n’avait rien de musulman. Ses sites étaient sabéens, juifs ou chrétiens. Puis, en 637, Omar ibn Al-Khattab (le deuxième calife arabe) s’y est présenté. Quand les habitants ont vu ses armées, ils comprirent que toute résistance était vaine et décidèrent de lui livrer les clés de la ville. Personne ne sait exactement ce qui s’est passé entre Omar et le Juif – dont on a dit plus tard qu’il s’était converti – qui lui indiqua un lieu considéré comme sacré. On ne sait pas si c’était le rocher, le Temple ou ce que les musulmans prétendent être une mosquée construite par Adam !
Quoi qu’il en soit, Omar ordonna la construction d’une mosquée, qu’il baptisa Masjid Al-Qibla (mosquée de la Direction de la prière) et non Masjid Al-Aqsa (Mosquée la plus éloignée), comme on l’appelle aujourd’hui. Plus tard, en 692, le calife omeyyade Abdelmalik Al-Marwan fit construire le fameux dôme du Rocher. C’est lui qu’on voit toujours dans les médias lorsqu’il est question de Jérusalem. Et c’est pour lui que certains musulmans sont prêts à mourir en étant convaincus qu’il s’agit d’Al-Aqsa. On ne peut guère les blâmer puisque, même parmi les Palestiniens, beaucoup ne distinguent pas entre entre le « Rocher » et Al-Aqsa, y compris parmi ceux qui sont chargés de négocier l’avenir de Jérusalem et qui insistent pour dire qu’elle est la capitale de l’Etat palestinien à venir. Quand les musulmans se sont emparés de la ville, elle était essentiellement chrétienne. Si l’on demande à n’importe quel habitant musulman du coin où se trouve la mosquée d’Omar bin Al-Khattab, il répondra en toute spontanéité « dans le quartier chrétien », et plus précisément à côté de l’Eglise du Saint-Sépulcre. En reconnaissance du beau geste des chrétiens, qui ont livré la ville sans résister, Omar leur avait octroyé un pacte. Les musulmans, dont la plupart ne l’ont d’ailleurs jamais lu, font fièrement remarquer la « générosité » de ce pacte et le « sens de la justice » de ce calife. Or, si celui-ci était parmi nous aujourd’hui, il n’oserait pas en lire le premier mot du premier paragraphe. Car, en réalité, ses dispositions sont d’un racisme de la pire espèce. Et s’il devait vraiment avoir le courage de l’assumer, cela l’amènerait immanquablement devant la Cour internationale de justice de la Haye.
Avant Omar et l’invasion musulmane, Jérusalem avait subi des campagnes militaires de toutes les puissances qui se sont succédé dans la région pendant des siècles – Jébuséens, Hébreux, Egyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains et Byzantins. Ensuite sont venus [les Arabes], puis les Croisées, jusqu’à la reconquête par Saladin [en 1187]. Les Français ont essayé de s’en emparer, mais ont échoué devant les murs de Saint-Jean-d’Acre [en 1199]. Les Britanniques l’ont contrôlée un temps, avant que les Israéliens ne s’y établissent à l’ouest d’abord, en 1948, à l’est ensuite, en 1967. Paradoxalement, nos manuels scolaires apprennent aux étudiants palestiniens qu’il s’agit à chaque fois d’occupations, sauf quand les conquérants sont musulmans. Dans le cas d’Omar on parle d’ « ouverture », et dans celui de Saladin de « libération ». Il s’agit pourtant de conquêtes militaires, tuant et détruisant pour ensuite imprimer notre propre marque et changer la physionomie des lieux. Si aujourd’hui, une armée arabo-musulmane devait entrer en Palestine et faire ce qu’avait fait Saladin, il faudrait considérer cela comme une invasion et organiser la résistance. Une occupation est une occupation, qu’elle soit le fait des Israéliens en Palestine, des Arabes en Andalousie et ailleurs ou encore celle de l’Irak au Koweït en 1990.
Aujourd’hui, la situation à Jérusalem ressemble à celle qui prévalait il y a dix ans, à la veille de l’ « intifada d’Al-Aqsa » [en 2000]qui avait fait couler le sang, entraîné la mort de 5000 personnes, laissé 50 000 autres handicapées, provoqué la destruction de milliers de maisons et entraîné la construction du mur de séparation. Tout cela pour que les protagonistes se retrouvent ensuite au même point pour négocier les mêmes dossiers.
Celui qui porte la responsabilité de tout ce sang versé par les Palestiniens est l’ancien président Yasser Arafat. Il voulait absolument continuer de fonctionner comme un chef de groupuscule révolutionnaire, alors que la gestion de l’Autorité aurait dû être institutionnalisée. L’Intifada d’Al-Aqsa aura été celle des bandes. Les gros bras de chaque camp ont établi leur domination impitoyable sur la population. Cela continue encore et toujours aujourd’hui au nom de Jérusalem, d’Al-Aqsa ou encore du temple de Salomon. Le sang ne cessera de couler que le jour où on aura le courage de revenir sur l’interprétation des textes religieux. Il convient d’ajouter qu’on parle toujours d’un conflit entre Israéliens juifs et Arabes musulmans, sans que personne ne pense jamais aux chrétiens de la ville comme si Jésus n’était pas né dans ses contrées.
Cela ne servira à rien que les Israéliens insistent pour dire qu’elle est leur capitale, ni que les Palestiniens fassent de même. D’autres solutions existent. Les Israéliens ont déjà une autre capitale, internationalement reconnue, à savoir Tel-Aviv. C’est là que se passe l’essentiel de leur vie économique et politique. De leur côté, les Palestiniens disposent de tous les instruments gouvernementaux à Ramallah, situé à tout juste 20 minutes de Jérusalem, hors retards causés par les barrages. Ramallah se prête bien mieux que Jérusalem à devenir la capitale de l’Etat palestinien à venir. Cette dernière devrait plutôt être une ville ouverte, l’ouest autant que l’est accueillant tous ceux pour qui elle a une signification particulière, symbolique ou sacrée. Il y a eu beaucoup trop de sang versé au nom de Jérusalem pour que deux acteurs seulement puissent en accaparer la propriété.