Soupçonné de blanchiment et d’« enrichissement illicite », le gouverneur de la Banque du Liban a refusé de se rendre à une audition à Paris.
Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, est désormais visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice française. Aude Buresi, la juge d’instruction chargée de l’enquête sur le patrimoine européen du gouverneur de la BDL, a émis cette mesure, mardi 16 mai, après son refus de se rendre à une audition au tribunal judiciaire de Paris. Elle vaudra mise en examen au moment de son renvoi devant un tribunal français. Le grand argentier libanais de 72 ans et son entourage font aussi l’objet d’enquêtes au Liban et dans au moins cinq autres pays européens, portant sur des soupçons de blanchiment d’argent et d’« enrichissement illicite », pour le détournement présumé de centaines de millions de dollars de la banque centrale au détriment de l’Etat.
M. Salamé, qui a toujours nié ces accusations, a annoncé qu’il ferait appel de la décision, qu’il a qualifiée, dans un communiqué, de « violation flagrante de la loi ». « Un mandat d’arrêt international, dont j’ai appris l’existence par la presse, ainsi décerné sur le fondement d’une convocation manifestement hors délai et une voie de fait : nous saisirons les tribunaux compétents », a déclaré au Monde son avocat parisien, Me Pierre-Olivier Sur. M. Salamé pourra faire appel de sa mise en examen le jour où elle lui sera formellement signifiée. Il n’est, en revanche, pas possible de faire appel d’un mandat d’arrêt.
La magistrate française a, elle, estimé que cette mesure était « nécessaire et proportionnée », a fait savoir une source judiciaire française à l’Agence France-Presse (AFP). « La juge a laissé toutes les chances à Riad Salamé de s’expliquer au Liban, comme à Paris. Jusqu’au dernier moment, il a poursuivi une stratégie cynique de mépris, inventant des prétextes grotesques sur le plan juridique avec l’appui de facilitateurs qui ne sont autres que certains magistrats libanais qui crachent sur les obligations du Liban de coopérer avec la France. La juge en a tiré les conséquences », salue Me William Bourdon, avocat de l’association Sherpa et du Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban, parties civiles.
Imbroglio judiciaire
L’avocat voit comme une manœuvre dilatoire la contestation par la défense de la validité de la convocation. Me Pierre-Olivier Sur argue que la convocation était caduque parce qu’elle a été adressée moins de dix jours avant la date prévue de l’audition. Par un imbroglio judiciaire dont le Liban a le secret, elle n’est jamais parvenue à l’intéressé. Pendant quatre jours consécutifs, la semaine dernière, des policiers libanais se sont rendus au siège de la BDL pour la lui remettre. Ils ont été à chaque fois accueillis par le responsable de la sécurité qui leur a signalé l’« absence » de M. Salamé.
Depuis que Mme Buresi a informé M. Salamé de son intention de l’interroger à Paris le 16 mai, lors de son audition en mars à Beyrouth, le doute planait sur sa venue en France. « S’il était venu, il y aurait eu inculpation et placement sous contrôle judiciaire. Il y a forcément eu une négociation entre Me Sur et la juge à ce sujet », suggère une source proche du dossier. Lundi, les avocats de M. Salamé, de son frère cadet Raja et de Marianne Hoayek, son ancienne assistante à la BDL, ont soumis une objection à la justice libanaise, affirmant que la France ne devrait pas être autorisée à juger une affaire faisant déjà l’objet d’une enquête au Liban.
Les avocats des parties civiles gardent l’espoir que s’ouvre en France un procès dans l’affaire Salamé. Deux autres mises en examen ont été prononcées contre Anna Kosakova, une ancienne compagne du gouverneur, soupçonnée d’être l’une de ses prête-noms en France, et contre Marwan Kheireddine, un ancien ministre et l’actuel patron de la banque privée Al-Mawarid. « Les investigations continuent à un rythme élevé, on peut s’attendre à d’autres mises en examen », estime Me Bourdon. Selon lui, l’audition de M. Kheireddine en France, en mars, a encore alourdi les charges qui pèsent contre M. Salamé et son entourage.
Les déplacements à l’étranger de Riad Salamé pourraient à l’avenir être limités, si Interpol émet à son encontre une notice rouge. Le Liban n’a encore été notifié d’aucune mesure. L’avenir de M. Salamé à la tête de la BDL semble, lui, scellé. Les responsables politiques libanais ne le pousseront peut-être pas à démissionner avant la fin de son mandat, en juillet. Ils ont toutefois cessé de manœuvrer pour son maintien. Les chancelleries occidentales, Paris et Washington en tête, y veillent. « On ne laisserait pas du tout passer », avertit un diplomate français, laissant planer la menace de sanctions.