Les partisans du leader chiite Moqtada al-Sadr ont investi, lundi, la zone verte, où des affrontements avec l’armée et les milices pro-Iran ont fait plus de 20 morts.
Moqtada al-Sadr a su, à temps, éteindre l’incendie qu’il avait lui-même allumé, créant les conditions d’un début d’apaisement alors que l’Irak était au bord de la guerre civile. Mardi en milieu de journée, ses partisans, qui occupaient la zone verte de Bagdad, siège des principaux centres du pouvoir et de plusieurs ambassades occidentales, ont commencé à quitter les lieux après vingt-quatre heures de violence entre groupes chiites.
Peu avant, leur chef, aussi puissant qu’imprévisible, avait donné « 60 minutes » à ses combattants pour se retirer du secteur, faute de quoi il menaçait de les « désavouer ». L’armée a, peu après, levé le couvre-feu qu’elle avait instauré lundi après-midi sur la capitale irakienne, où l’on recense plus de 20 morts et 300 blessés, en majorité parmi les sadristes.
« Je présente mes excuses au peuple irakien, seul affecté par les événements », a déclaré le leader chiite lors d’une conférence de presse dans son fief de Nadjaf, la ville sainte chiite à 150 kilomètres au sud de Bagdad.
La capitale irakienne a tutoyé pendant 24 heures la guerre civile. Bâtiments saccagés ou brûlés, obus de mortier, tirs d’armes automatiques : depuis lundi après-midi, la zone verte de Bagdad avait sombré dans un climat insurrectionnel. Les violences, qui avaient gagné des villes du sud de l’Irak, ont opposé les sadristes, regroupés au sein de Brigades de la paix, à ses ennemis, chiites eux aussi, liés aux milices soutenues par l’Iran et à des unités des forces spéciales de l’armée. Il s’agit des affrontements les plus violents depuis plusieurs années. Mardi matin, après une nuit d’explosions, des obus de mortier continuaient d’être tirés par les sadristes contre la Zone verte.
Alors que depuis plus d’un mois, Moqtada al-Sadr fait monter la pression en vue de peser sur le choix du premier ministre, la situation avait dégénéré lundi après-midi lorsque des centaines de ses combattants avaient envahi le Palais de la République, qui accueille le Conseil des ministres, dans la zone verte. Quelques instants auparavant, le fantasque dirigeant chiite annonçait qu’il se retirait « définitivement » de la vie politique, laissant ses partisans libres d’agir comme ils l’entendaient et nourrissant ainsi les risques d’escalade. Ce n’est pas la première fois qu’il faisait une telle annonce, généralement suivie d’un recul. Lundi en fin d’après-midi, depuis son repaire de Koufa, près de la ville sainte chiite de Nadjaf, à 150 km au sud de Bagdad, Sadr, héritier d’une grande famille chiite influente parmi sa communauté, annonçait même qu’il se mettait en grève de la faim.
Sans premier ministre depuis les élections législatives d’octobre 2021, l’Irak s’enfonçait un peu plus dans le chaos. La bataille, sanglante comme souvent dans ce pays où depuis des décennies la violence est le mode de règlement des tensions politiques, déchire la « maison chiite », la principale communauté, persécutée sous Saddam Hussein et qui détient, depuis la chute du dictateur en 2003, la réalité du pouvoir, via le poste de premier ministre.
Depuis un an bientôt, l’Irak n’a ni gouvernement, ni président de la République, et les ténors d’un système confessionnel à bout de souffle n’arrivent pas à s’entendre sur le nom du chef du gouvernement qui succédera à Mustapha al-Kazemi, réduit à expédier les affaires courantes.
Sortis vainqueurs des législatives, les sadristes insistent pour dissoudre le Parlement, mais ses rivaux soutenus par l’Iran et regroupés au sein d’une coalition appelée Cadre de coordination – en fort recul aux dernières législatives – veulent d’abord nommer un gouvernement. Même si les deux camps s’accordent sur la nécessité d’un scrutin législatif anticipé, Sadr ne veut plus d’un premier ministre de compromis entre factions chiites – comme c’est le cas depuis 2003. Nationaliste, il tient à le désigner en s’alliant aux sunnites et à un parti kurde. Depuis un mois, ses sympathisants faisaient monter les enchères en campant aux abords du Parlement, certains ayant même bloqué brièvement la plus haute instance judiciaire du pays.
Selon certaines sources, l’apaisement aurait été arraché après une médiation d’Ali Reza Sistani, le fils de l’ayatollah Ali Sistani, la figure tutélaire des chiites d’Irak, qui a entamé des négociations entre les leaders du camp sadriste et ceux du cadre de la Coordination pour stopper l’effusion de sang à Bagdad. La médiation a porté ses fruits. Mais pour combien de temps ? La crise politico-institutionnelle est loin d’avoir été réglée.
Même s’il a reculé, « Sadr veut contrôler la situation, affirme au Figaro un diplomate à Bagdad. Il pense que c’est maintenant ou jamais. Sadr se présente comme le seul leader de la communauté chiite, et son ambition ne s’arrête pas à la scène politique : il veut aussi être le seul leader religieux chez les chiites, alors que la succession de l’ayatollah Ali Sistani est ouverte. » Âgé de 90 ans environ, Sistani est la plus haute figure spirituelle chiite d’Irak. Moqtada al-Sadr est populaire dans une large partie de la communauté chiite pour avoir lutté contre l’occupation américaine du pays à partir de 2003 et résisté ensuite à la domination iranienne sur l’ancienne Mésopotamie.
Après s’être rapproché, ces dernières années, des monarchies sunnites du Golfe, qui partagent avec lui le souci de faire rempart à Téhéran, il a montré une fois de plus qu’il avait la capacité de mobiliser la rue. Mais face aux factions pro-Iran bien armées, le rapport de forces ne lui est pas forcément favorable.