En réaction au bannissement d’une grande partie des banques russes du réseau international de paiement Swift et de toute transaction avec la banque centrale russe, le rouble s’est effondré de près de 30 % lundi matin, avant de regagner une partie du terrain dans la journée. En réaction, la banque centrale a plus que doublé son taux directeur, à 20 %.
« C’est un choc financier très fort, commente Ana Boata, chef économiste d’Euler Hermes. La banque centrale tente de stabiliser sa monnaie par les taux parce qu’elle a peu de marge de manœuvre pour le faire par ses réserves de change. »
Le Royaume-Uni a annoncé lundi le gel « dans les jours à venir » des avoirs de toutes les banques russes sur son territoire. Le train de sanctions de l’Union européenne et du G7 – auquel s’est jointe la Suisse, rompant avec sa neutralité habituelle – touche directement Vladimir Poutine au portefeuille. En gelant les actifs de la banque centrale russe à l’étranger, il le prive de la jouissance de 40 à 50 % de son trésor de guerre de 630 milliards de dollars accumulé ces dernières années en devises et en or.
Panique bancaire
Pendant le week-end, les files d’attente s’allongeaient aux guichets automatiques des banques à Moscou. Les Russes cherchent à se procurer des devises, voire des liquidités de précaution en roubles, faisant craindre une panique bancaire. « Il n’y a pas vraiment de panique, mais une très vive inquiétude. Les gens sont au courant de ce qui se passe », relativise Chris Weafer, consultant de Macro-Advisory, basé à Moscou.
Pour limiter la casse, les marchés financiers russes sont restés fermés toute la journée de lundi. L’ouverture – si elle a lieu – ce mardi risque de voir se produire la correction redoutée. Les entreprises russes cotées à l’étranger ont dévissé : – 75 % pour Gazprom, – 69 % pour Lukoil ou – 46 % pour Rosneft en cours de séance à Londres. L’action Sberbank, plus importante banque russe, a plongé de 77 % après que la Banque centrale européenne a averti d’un risque de faillite de ses filiales en Slovénie et en Croatie.
La patronne de la banque centrale russe, Elvira Nabiullina, toute de noire vêtue lors d’une réunion avec le maître du Kremlin, a mis en place un contrôle des capitaux. Les résidents ont interdiction de transférer des devises à l’étranger. Les exportateurs, comme les producteurs d’hydrocarbures Gazprom et Rosneft, doivent quant à eux convertir en roubles 80 % de leurs revenus en devises.
Double peine
« Nous voyons un scénario qui consiste à essayer de dégager des marges de manœuvre pour éviter un défaut de paiement », commente Ana Boata. La Russie fait face à la double peine d’un sursaut inflationniste assorti d’une forte récession. Son PIB pourrait chuter de 5 % à 10 % cette année, selon de premières estimations d’économistes. « Nous naviguons en territoire inconnu. Ces sanctions sont sans précédent, appliquées si rapidement avec une telle coordination par tant de pays à la fois. Elles commencent déjà à produire un effet dramatique sur l’économie russe », constate Elina Ribakova, de l’Institute of International Finance, à Washington.
Aussi préoccupante soit-elle, la situation ne revient pourtant pas tout à fait à un Armaguédon. En exemptant certaines banques clés de l’interdiction de Swift, les Occidentaux ont montré un intérêt bien compris. En gardant ouvert le robinet au gaz et au pétrole russes, ils préservent aussi celui des devises pour Moscou, qui devrait pouvoir compter sur 20 à 25 milliards de dollars de surplus net par mois.
Les échanges commerciaux hors énergie avec l’Occident risquent toutefois de pâtir de l’embargo. « Les gens sont très nerveux à l’idée de passer des contrats commerciaux avec la Russie, étant donné l’incertitude », rapporte Caroline Bain, spécialiste des matières premières chez Capital Economics.
« Les sanctions sont lourdes, elles posent problème… mais la Russie a tout le potentiel nécessaire pour compenser les dommages », tempère le porte-parole du Kremlin. Elle a notamment développé ses liens avec d’autres pays, dont la Chine, et sécurisé ses échanges en devises alternatives au dollar ou à l’euro, comme le yuan. Elle tente d’inciter ses alliés à se connecter à son propre système d’échanges financiers, bâti pour contourner Swift.