Par Rémi Dupré
Ancien secrétaire général de la Fédération internationale de football (FIFA) de 2007 à 2015, le Français Jérôme Valcke, 55 ans, a été suspendu douze ans, vendredi 12 février, par le comité d’éthique de l’instance planétaire.
Démis de ses fonctions en septembre, suspendu provisoirement pour 90 jours en octobre, limogé mi-janvier, l’ex-bras droit de Joseph Blatter a été radié pour avoir enfreint sept chapitres du code d’éthique de la FIFA. Le quinquagénaire est notamment poursuivi pour « conflits d’intérêts » et pour avoir « offert et accepté des dons et d’autres bénéfices ».
La chambre de jugement du comité d’éthique de la FIFA reproche à Jérôme Valcke d’avoir «encouragé » les activités d’une compagnie de marketing sportif qui a obtenu « un avantage indu»de la vente de billets de la Coupe du monde.
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L’enquête a permis de mettre en évidence « plusieurs actes répréhensibles, liés en particulier à un abus des dépenses liées aux dépenses de voyages. » M. Valcke a ainsi voyagé « aux frais de la FIFA à des fins purement touristiques et en choisissant régulièrement des vols privés plutôt que des vols commerciaux, et ce sans justification professionnelle. »
Dans le cadre de « l’attribution des droits télévisuels et médias aux Caraïbes », le Français a aussi été reconnu coupable d’avoir tenté d’accorder les droits des Mondiaux 2018 et 2022 à des tiers « à une valeur très inférieure au prix du marché. » L’ex-numéro 2 de la FIFA a par ailleurs «essayé de faire entrave aux procédures en cours en détruisant ou tentant de détruire plusieurs fichiers et dossiers pertinents pour l’enquête. »
Marché noir
Le 17 septembre 2015, Jérôme Valcke avait été « relevé de ses fonctions avec effet immédiat ». Le même-jour, l’ex-footballeur israélien et consultant Benny Alon avait révélé une série d’e-mails et autres contrats confidentiels compromettants pour le Français.
Alon dénonçait le monopole exercé, depuis la Coupe du monde 2002, par la compagnie International sport Entertainment (ISE), sur le marché des billets avec hébergements. Tableau à l’appui, il montrait ensuite que 8 400 places confiées au Mexicain Jaime Byrom pour le Mondial 2006 en Allemagne ont disparu « sur le marché noir ». Rebaptisée Match Services, la compagnie de Byrom obtient, à partir du Mondial 2010, l’exclusivité sur le « business des billets, hébergement et transports ».
Alors qu’il travaille désormais pour la société suisse JB Sports Marketing (JBS), Alon avait alerté par e-mail, en mars 2010, Jérôme Valcke sur le dossier des places disparues en 2006. Un rendez-vous a lieu entre les deux hommes. Il débouche sur un contrat signé, en avril, entre JBS et la FIFA, autorisant la compagnie à acheter puis revendre des billets pour les Mondiaux 2010, 2014 (8 750 tickets) et 2018. Pour le Mondial 2022, une clause stipule que JBS pourra vendre des places « seulement si les Etats-Unis sont désignés comme pays hôte ». « Le Mondial appartient déjà au Qatar », aurait alors soufflé, en juin 2010, Valcke à Alon, alors que le vote d’attribution n’est prévu que le 2 décembre. Il aurait réitéré ces propos en septembre, soit trois mois avant le scrutin qui débouchera sur la victoire de l’émirat.
L’ex-joueur israélien accusait également le numéro deux de la FIFA d’avoir modifié, en 2013, ledit contrat. Cet accord lie désormais JBS à Byrom et concerne 11 032 places, lors du Mondial 2014 au Brésil, qu’Alon et sa compagnie « n’ont jamais reçues ». « Où sont-elles passées ? », s’interrogeait-t-il. L’Anglais Ray Whelan, un collaborateur de Byrom, a été arrêté à Rio, durant le tournoi, dans le cadre du démantèlement d’un réseau de revente de billets au noir. Il a depuis été blanchi.
Proche de Michel Platini, candidat à la succession de Blatter en février 2016, Alon accusait Valcke de lui avoir réclamé la moitié des profits à venir (environ 2 millions de dollars, soit 1,75 million d’euros) sur les 2 400 places allouées à JBS par la FIFA, qui concernent les « douze meilleurs matchs » du Mondial 2014 sélectionnés par la Fédération internationale.
Parmi les documents dévoilés par Alon figurait un e-mail de Valcke envoyé en décembre 2013, dans lequel il admettait : « Nous risquons tous des poursuites criminelles. » Les avocats du Français, qui rêvait depuis huit ans de succéder à Blatter, avaient dénoncé des accusations « « fabriquées et scandaleuses ».
Le virement fait à Jack Warner
Le 2 juin 2015, quelques heures avant l’annonce de l’abdication prochaine du Valaisan, le New York Times affirmait que le numéro 2 de l’organisation était dans le viseur de la justice américaine. Selon les enquêteurs du FBI, le bras droit de Joseph Blatter aurait supervisé le versement de 10 millions de dollars (9,1 millions d’euros) à Jack Warner, ex-patron de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes (Concacaf) et ancien vice-président de la FIFA, radié à vie et qui fait aujourd’hui partie des neuf responsables de la Fédération inculpés par la justice américaine pour corruption. Une transaction initiée en 2008 par le comité d’organisation du Mondial sud-africain de 2010 pour soutenir la « diaspora africaine » dans les Caraïbes.
Le patronyme de Jérôme Valcke ne figurait pas dans l’acte d’accusation déposé mercredi 27 mai auprès du tribunal fédéral de Brooklyn. Interrogé par le New York Times, Jérôme Valcke avait démenti avoir autorisé ce paiement, et assure ne pas en avoir le pouvoir La FIFA avait alors pointé la responsabilité de l’Argentin Julio Grondona, vice-président en charge des finances et mort en juillet 2014.
Un ressuscité
Jérôme Valcke passe pour un ressuscité, rompu aux turpitudes, cabales et autres zones d’ombre de la richissime fédération. Ancien chef de la direction de la chaîne Sport + (1997-2002), le Parisien a ensuite œuvré pour l’agence de droits sportifs Sportfive, avant de prendre le poste de directeur du marketing et de la télévision de la FIFA.
En 2006, il est accusé par MasterCard, partenaire de la Coupe du monde depuis 1990, de ne pas avoir respecté une clause stipulant que le géant américain est prioritaire pour reconduire son contrat. L’affaire finit devant la Cour de justice de New York, et la FIFA verse 90 millions de dollars de dédommagements à MasterCard.
Ayant négocié avec Visa, le dirigeant français est alors limogé par Blatter, mais il retrouve rapidement grâce aux yeux du septuagénaire. En juillet 2007, le polyglotte est nommé secrétaire général de la fédération, une promotion qui continue de poser encore question.
Dans le dossier du « Qatargate », ses détracteurs l’accusent d’avoir décidé d’attribuer en même temps les Mondiaux 2018 et 2022 afin de rassurer les partenaires économiques de la FIFA, dont la marque Coca-Cola, et ainsi de favoriser une hausse de la valeur des contrats.
Muré dans le silence
Le 7 juillet 2010, Jérôme Valcke fut le signataire d’une circulaire rappelant aux pays candidats à l’organisation des 21e et 22e éditions de la Coupe du monde de « s’abstenir d’essayer d’influencer les membres du Comité exécutif de la FIFA (…) notamment en leur offrant des avantages pour des comportements particuliers ». En mai 2011, dans un email adressé à Jack Warner, il avait accusé le Qatar « d’avoir acheté la Coupe du monde. »
A la tête de l’imposante administration (350 salariés) de la Fédération internationale durant huit ans, Jérôme Valcke avait indiqué qu’il quitterait son poste lorsque Sepp Blatter remettrait son mandat à disposition du congrès de la FIFA, le 26 février 2016. Il a finalement écopé d’une sanction plus lourde que son mentor, suspendu huit ans le 21 décembre 2015, à l’instar de Michel Platini.
Se murant dans le silence depuis sa mise à l’écart de la FIFA, Jérôme Valcke avait laissé entendre qu’on n’entendrait « plus parler » de lui après son départ de l’organisation mondiale. En privé, il accuse les médias et la Fédération internationale de l’avoir « tué. »
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