Par Rémi Dupré (Zurich (envoyé spécial))
Le jugement est tombé. Lundi 21 décembre, Michel Platini et Joseph Blatter ont été suspendus pour huit ans de toute activité liée au football par le comité d’éthique de la Fédération internationale de football (FIFA). Cette suspension, à effet immédiat, a été assortie d’une amende de 80 000 francs suisses (74 000 euros) pour M. Platini et 50 000 francs suisses (46 000 euros) pour M. Blatter.
La justice interne de la FIFA a jugé que les deux hommes avaient « abusé » de leur position. Si les charges de corruption n’ont pas été retenues, le comité d’éthique les a jugés coupables de« conflit d’intérêt » et de « gestion déloyale ».
Les juges estiment que M. Blatter, président démissionnaire de l’instance mondiale du football, « ni dans sa déclaration écrite ni à l’audience, n’a été en mesure de démontrer une base légale à ce paiement. Son affirmation d’un accord oral n’a pas été déterminée comme convaincante et a été rejetée par le comité ».
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« Je vais lutter, je vais me battre pour moi, pour la FIFA »
Dans une conférence de presse lors de laquelle il a alterné entre l’anglais, le français et l’espagnol, M. Blatter a annoncé qu’il allait faire appel devant la FIFA, puis devant le Tribunal arbitral dusport (TAS) « et même devant la justice suisse, s’il le faut ». Il s’est défendu en expliquant :
« Disons que je suis vraiment désolé, je suis désolé, de me trouver encore comme un punching-ball alors que je suis encore président de la FIFA, je suis triste pour la FIFA que je sers depuis plus de quarante ans, mais je suis surtout désolé pour moi, de voir comment on me traite dans cette situation. (…) La commission d’éthique n’est pas habilitée à poursuivre le président de la FIFA. (…) Je vais lutter, je vais me battre pour moi, pour la FIFA. »
Concernant Michel Platini, le comité d’éthique note qu’il n’a pas trouvé dans le dossier présenté par M. Platini la preuve convaincante d’un « accord oral ».
« M. Platini a omis d’agir avec une crédibilité et une intégrité totales, faisant preuve d’une méconnaissance de l’importance de ses tâches et de ses obligations et responsabilités concomitantes. »
Michel Platini, en 2011 à Zurich. SEBASTIAN DERUNGS / AFP
Ce dernier a réagi en dénoncant une « véritable mascarade » « mise en scène » pour le « salir » par des instances auxquelles il dénie « toute légitimité et crédibilité ».
« Parallèlement à la saisine du Tribunal arbitral du sport, je suis déterminé à saisir, le moment venu, la justice civile pour obtenir réparation de l’intégralité du préjudice que je subis depuis de trop longues semaines du fait de cette procédure. J’irai jusqu’au bout dans cette démarche. »
Dans l’attente du verdict, M. Blatter et M. Platini avaient tous deux été radiés, le 8 octobre, pour quatre-vingt-dix jours. Cette sanction faisait écho à l’ouverture par le ministère public de la Confédération helvétique (MPC), fin septembre, d’une procédure pénale à l’encontre de Joseph Blatter à la suite d’un « paiement déloyal » auquel il avait procédé, en février 2011, en faveur de Michel Platini « prétendument pour des travaux » effectués par ce dernier entre 1999 et 2002. A l’époque, l’ex-numéro 10 des Bleus – entendu par le MPC comme « personne appelée à donnerdes renseignements » – officiait comme « conseiller football » du patron de la FIFA.
Le Suisse était également poursuivi pour avoir signé, en 2005, « un contrat défavorable à la FIFA » avec l’Union caribéenne de football (CFU), présidée alors par Jack Warner. Ledit contrat, résilié par la FIFA en 2011, octroyait les droits télévisuels des Mondiaux 2010 et 2014 au CFU pour 600 000 dollars (536 000 euros).
Course contre la montre pour Platini
Si M. Blatter a été entendu durant huit heures par le juge Eckert, le 18 décembre, M. Platini a boycotté cette audition, dénonçant un « procès politique » et laissant son avocat le représenter.« Tout est joué d’avance », soufflait un membre de son équipe de défense avant l’annonce de la décision du comité d’éthique et alors que la candidature de l’ex-capitaine des Bleus à la présidence de la FIFA est gelée.
Alors que l’élection est prévue pour le 26 février, le patron de l’UEFA devrait saisir la commission des recours de la Fédération internationale avant de faire appel, le cas échéant, devant le Tribunal arbitral du sport. « Ce parcours contentieux est loin d’être fini », assure l’un de ses conseillers. L’UEFA a pris la parole pour dire son « soutien » à son président dans son droit « à une procédure équitable ».
L’ancien joueur entame une course contre la montre. Car il doit être définitivement blanchi par le TAS d’ici au 26 janvier, soit un mois avant l’élection, pour espérer faire valider sa candidature par la commission électorale de la FIFA. « Cela va être très serré et compliqué pour Platini », confie un observateur avisé des instances mondiales.
Dès l’annonce de la décision du juge Eckert, Joseph Blatter a, lui, convoqué la presse près de l’ancien siège de la Fédération internationale, sur la colline zurichoise du Sonnenberg. Pour réglerses comptes ? « Blatter n’aurait jamais pensé que le comité d’éthique se retournerait contre lui, analyse son ancien conseiller Guido Tognoni. Il s’en servait surtout pour radier ses adversaires. »
Elu à sa tête à cinq reprises depuis 1998, l’Helvète quitte ainsi par la petite porte la FIFA, dont il était salarié depuis 1975. Le monarque déchu laisse derrière lui une organisation richissime (une réserve financière de 1,4 milliard d’euros en 2015) mais minée par les scandales de corruption.