Les lecteurs réguliers d’Un œil sur la Syrie auront appris la nouvelle du décès de son animateur, Ignace Leverrier/Wladimir Glasman. Il s’est éteint après un long combat, tant contre sa propre maladie que pour celle qui ronge depuis trop longtemps et de l’intérieur la Syrie. Il nous a quittés un 21 août. Date symbolique, qui le liera éternellement aux Syriens.
Depuis avril 2011, date de son premier post sur ce « blog invité » sur le site du quotidien Le Monde, Ignace Leverrier s’est attaché à informer l’opinion publique française et francophone sur la situation politique, sociale, militaire, humanitaire et culturelle syrienne. Ses articles ont permis à de nombreux curieux de la politique syrienne de comprendre les ressorts, les dynamiques qui animent le pays. Il s’est attaché à présenter la Syrie en insistant sur l’importance de distinguer un pouvoir formel, avec ses structures établies, ses lois, sa constitution, du pouvoir informel, fait de manipulation, de corruption et d’instrumentalisation…
Du fait de sa connaissance de la région, où il a non seulement exercé, mais où il a vécu la majeure partie de sa vie ; du fait de ses nombreux contacts, forgés par des années d’amitiés, notamment avec des défenseurs des droits de l’Homme, des démocrates réprimés par les autorités de leurs pays respectifs ; du fait d’une maîtrise complète de la langue arabe, lui permettant d’exploiter des sources ignorées, d’interroger dans leur langue maternelle les habitants de cette région, d’échanger et de se lier avec eux, qu’ils soient issus de la haute-société ou bien des couches les plus populaires, Ignace Leverrier a été en mesure d’éclairer non seulement les « curieux », mais également les plus fins connaisseurs de la Syrie.
Il a permis à tous ses lecteurs de saisir le fonctionnement d’un régime brutal, n’hésitant pas à massacrer, beaucoup, pour assurer le sort de bien peu. Il a également contribué à ouvrir les yeux et à rendre intelligible, loin des clichés, les raisons de l’évolution du mouvement de contestation pacifique en une rébellion et la radicalisation d’une partie de cette-dernière. Loin des lectures essentialistes qu’il déplorait, mais qui essaiment à tous les niveaux, il a lutté durant toutes ces années de révolution pour montrer la richesse et la diversité qui anime le peuple syrien, offrant par exemple à une Syrienne originaire de Suweïda le moyen de nous communiquer son récit de vie dans un pays qui se déchire. Il considérait ce type de témoignage comme étant plus important que le travail d’analyse qu’il effectuait. Il ne pouvait qu’être ému de voir les Syriens enfin s’exprimer à cœur ouvert sur la situation de leur propre pays, après un demi-siècle d’autoritarisme, de culte du chef et de répression sourde.
Force est de constater qu’aujourd’hui, alors que la Syrie est plongée dans un chaos encore plus grand et que sa chute pourrait l’entraîner vers un avenir abyssal, qui n’épargnera ni sa population ni même nos pays, ses écrits et sa voix nous manquent. Sa capacité à transcrire et intellectualiser des colères légitimes nous fera certainement défaut.
Néanmoins, en son honneur, mais surtout – et il y aurait tenu plus que tout – en solidarité avec le peuple syrien, il nous revient de reprendre le flambeau. De redonner à notre niveau une voix aux Syriens, devenus de véritables « damnés de la terre », chassés de chez eux, refoulés de chez nous, abandonnés dans notre mer à tous.
En accord avec sa famille et avec le soutien de la rédaction du journal Le Monde, ce blog continuera d’exister, avec la même finalité que pour laquelle il a été créé. Si son activité ne pourra pas égaler celle qu’Ignace Leverrier a réussi à lui donner, avec une endurance à toute épreuve, il continuera de vivre grâce à vos contributions. Témoignages, analyses, « coup de gueule », compte-rendu d’ouvrages… Vos contributions à tous sont bienvenues. Nous vous demandons simplement qu’elles correspondent au niveau de rigueur scientifique et informative qui a été celui de ce blog depuis le début.
Nous vous invitons ainsi à nous communiquer vos contributions à l’adresse suivante : oeil.syrie@gmail.com.
Les administrateurs du blog, Frantz Glasman et Nicolas Hénin.