Dans un courrier que « Le Monde » a consulté, Cédric Remund, chargé des enquêtes en lien avec la Fédération internationale de football, a démenti avoir participé à un rendez-vous avec le président de l’instance en juin 2017.
Le procureur suisse Cédric Remund a-t-il assisté à une réunion secrète en présence du président de la Fédération internationale de football (FIFA), Gianni Infantino, le 16 juin 2017, à Berne ?
L’interrogation plane depuis que les quotidiens allemand et suisse la Süddeutsche Zeitung et la Luzerner Zeitung ont avancé, le 18 avril, que le magistrat, chargé de plusieurs enquêtes en lien avec la FIFA depuis 2015, aurait été présent à ce rendez-vous lors duquel le patron du football mondial et son ami d’enfance, le premier procureur du Haut-Valais Rinaldo Arnold, ont rencontré le procureur général suisse Michael Lauber et son chef de la communication, André Marty.
Selon nos informations, M. Remund dément avoir participé à cette réunion et a fourni un alibi aux différentes parties concernées par les procédures. Le Monde et la Süddeutsche Zeitung ont eu accès à son courrier justificatif, daté du 20 avril, envoyé au Tribunal pénal fédéral.
Dans cette missive, M. Remund affirme qu’il a pris une journée de congé, ce 16 juin 2017, pour « écrire un article scientifique », sans donner davantage de précisions.Le magistrat a joint à ce courrier un formulaire attestant de son absence, ce jour-là, au siège du Ministère public de la Confédération helvétique (MPC), à Berne.
Contacté par Le Monde, le 19 avril, M. Remund n’avait pas précisé s’il était présent à la rencontre de juin 2017.
Chargé de plusieurs procédures pénales
Si la présence M. Remund à la réunion de juin 2017 devait être confirmée, elle pourrait compromettre plusieurs procédures pénales, dont celle visant Nasser Al-Khelaïfi, le patron qatari du Paris-Saint-Germain et de BeIn Media, ainsi que le Français Jérôme Valcke, l’ex-secrétaire général de la FIFA (2007-2015).
M. Remund avait par ailleurs interrogé l’ex-président de l’Union des associations européennes de football (UEFA) Michel Platini, en septembre 2015, comme témoin assisté dans l’affaire du paiement présumé déloyal de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) que lui a fait, en 2011, l’ex-président de la FIFA, Sepp Blatter. En mai 2018, c’est lui aussi qui avait signifié par courrier à M. Platini qu’il ne serait pas poursuivi dans le cadre de l’enquête.
D’après une ordonnance de classement, que Le Monde a consultée, M. Remund avait par ailleurs clos, en novembre 2017, une enquête « contre inconnu » relative à un contrat douteux signé en 2006 par M. Infantino, alors directeur de la division des affaires juridiques de l’UEFA, et octroyant des droits télévisés à une société offshore, détenue par des hommes d’affaires inculpés en 2015 par la justice américaine.
Les articles de la Süddeutsche Zeitung et de la Luzerner Zeitung ont provoqué quelques remous en Suisse alors que l’Autorité de surveillance du parquet suisse (AS-MPC) a reconnu, le 4 mars, le procureur général Lauber « coupable d’avoir contrevenu à plusieurs devoirs de fonction » en rencontrant, de manière informelle (sans procès-verbal à l’appui), et en trois occasions, le président de la FIFA (partie civile dans ces procédures), en mars et en avril 2016, puis en juin 2017.
Pas de souvenir
Dans son rapport, l’AS-MPC s’interroge sur la présence de Rinaldo Arnold, ami de M. Infantino, à trois rendez-vous avec M. Lauber. D’après les informations du Monde et du journal suisse Neue Zürcher Zeitung, l’Autorité de surveillance du parquet suisse estime que M. Arnold a cherché, pour le compte de M. Infantino, le 8 juillet 2015, à glaner auprès du procureur Lauber des informations judiciaires concernant Sepp Blatter et Michel Platini, alors favori dans la course à la présidence de la FIFA.
Selon l’AS-MPC, la rencontre du 8 juillet 2015 a eu lieu après un rendez-vous de « cinq heures » entre la FIFA et le MPC, le 26 juin 2015, lors duquel les deux parties ont évoqué la question de la transmission des données scellées de la FIFA.
L’AS-MPC indique que M. Arnold n’a mentionné ni la réunion du 8 juillet 2015 ni celle du 16 juin 2017 lors de son interrogatoire par le procureur extraordinaire du canton du Valais. A quel titre cet ami d’enfance de M. Infantino a-t-il accompagné ce dernier lors de deux rencontres avec M. Lauber ? Contacté, M. Arnold n’a pas donné suite.
Pour sa part, la FIFA ne répond pas à la question et ne précise pas si sa direction juridique, en lien permanent avec le parquet suisse, était ou non au courant de la présence de M. Arnold lors des rendez-vous avec le MPC. Selon l’AS-MPC, « il n’existe aucune base juridique permettant une telle présence dans les procédures devant le MPC. »
Pour la FIFA, « il n’y a rien de secret ou de suspect à propos » de ces rencontres entre M. Infantino et M. Lauber. L’organisation rappelle sa volonté de « coopérer » et « espère que les enquêtes seront bientôt terminées et qu’il y aura des résultats concrets. »
Organisée à l’hôtel Schweizerhof de Berne, propriété d’une société liée à un fonds souverain qatari, la rencontre du 16 juin 2017 reste nimbée d’un halo de mystère. M. Infantino, pas plus que M. Marty et M. Arnold, n’en a conservé le moindre souvenir. Quant à M. Lauber, il a assuré à l’AS-MPC, en novembre 2018, qu’il n’avait plus rencontré des représentants de la FIFA après… avril 2016. S’il a assuré aux rapporteurs de l’AS-MPC « avoir une bonne mémoire », il ne se souvient pas non plus de la rencontre du 16 juin 2017.