Propos recueillis par Charlotte Bozonnet
Mohamed Dayri est le ministre libyen des affaires étrangères du gouvernement de Tobrouk-Baïda, reconnu par la communauté internationale. En visite à Londres puis à Paris, mardi 25 août, où il a rencontré Laurent Fabius, le responsable a plaidé pour une aide militaire à la Libye afin de contrer la progression du groupe Etat islamique (EI), alors que les négociations, conduites par l’ONU, pour la formation d’un gouvernement libyen d’union nationale entre les camps rivaux de Tobrouk et Tripoli, n’ont toujours pas abouti.
Quel est l’objet de votre visite à Londres et à Paris ?
Il s’agit d’éveiller davantage les consciences sur ce qui se passe en Libye. Les médias mettent l’accent sur les méfaits du terrorisme par rapport aux ressortissants étrangers – Egyptiens, Erythréens, Ethiopiens – qui ont été assassinés par Daech [acronyme arabe de l’EI] en Libye. Mais on oublie que le 20 février, il y a eu plus de quarante morts à Kouba, une ville à 30 km de Baïda, le siège du gouvernement. Récemment, il y a eu les violences de Syrte et leur cortège d’horreurs : crucifixions, exhumations de cadavres, décapitations… Depuis mon premier voyage en Europe en octobre 2014, je n’ai cessé de rappeler à la communauté internationale les dangers grandissants que représentent Daech et les groupes terroristes.
Qu’avez-vous demandé concrètement à M. Fabius ?
La communauté internationale, en adoptant la résolution 2214 [qui prévoit une aide militaire à la Libye pour lutter contre le terrorisme], a posé une condition préalable : la formation d’un gouvernement d’union nationale. La Chambre des représentants [le Parlement reconnu par la communauté internationale, basé à Tobrouk], qui représente le camp de la légitimité, a toujours répondu présent pour ces négociations. Parvenir à un tel accord est une priorité nationale avant d’être une exigence internationale. Nous avons paraphé le 11 juillet l’accord préparé par les Nations unies. Mais il y a en face des gens qui boycottent ces travaux et ont des réserves. Or nous sommes à un moment de vérité : le 21 octobre, le mandat de l’actuelle Chambre des représentants prendra fin. Il faudrait que la communauté internationale exerce les pressions adéquates afin que le processus aboutisse.
Quel type de pressions ?
Des pressions directes, mais aussi à travers des contacts avec des puissances régionales qui ont pignon sur rue à Tripoli et peuvent pousser ces Libyens récalcitrants à signer un accord national.
En attendant, il faudrait aussi soutenir les efforts que nous menons pour nous défendre. La communauté internationale refuse de lever les restrictions qui sont imposées aux livraisons d’armes à la Libye, avant qu’un gouvernement d’union nationale n’ait abouti, mais le temps presse. Nous avons besoin d’être aidés avant que la présence de Daech ne soit encore plus importante. Nous ne demandons pas une intervention militaire mais du matériel, de l’aide logistique. Nous sommes en train d’affronter Daech avec des moyens militaires obsolètes.
Qui est aujourd’hui votre ennemi en Libye ?
Daech et les groupes terroristes qui y sont affiliés.
Ce n’est plus le camp adverse de Tripoli ?
Nous avons eu une guerre civile pendant un an. [Les membres de ce camp] ne sont pas nos ennemis mais nos adversaires politiques, avec lesquels nous voudrions rebâtir la Libye sur des bases nouvelles : un Etat de droit qui respecte les droits de l’homme, une justice indépendante, une armée, une police.
Quelle est l’ampleur de la présence de l’Etat islamique ?
Il y a eu par le passé des déclarations publiques d’Al-Bagdadi [le « calife » autoproclamé de l’EI]lui-même selon lesquelles l’EI considère la Libye comme un sanctuaire, une base arrière. Il y a deux jours, l’EI en Irak a lancé un appel à aller grossir ses rangs en Libye. La situation est gravissime. Il est temps que la communauté internationale nous aide.