En Angola, la lutte anticorruption a pris les allures d’une purge spectaculaire et ciblée dont se délectent la population et l’élite africaine.
Il était tellement inconcevable il y a encore un an d’imaginer sur la sellette les richissimes enfants du précédent chef d’Etat, José Eduardo dos Santos, des ministres et des militaires nantis. Une vague d’angoisse a déferlé sur les quartiers huppés de Luanda, où des millions de pétrodollars détournés ont été retrouvés dans les jardins et les coffres de villas de luxe. Et ce ne sont là que des miettes des 30 milliards de dollars (26 milliards d’euros) déposés par des Angolais dans des banques étrangères, selon les autorités, et dans des paradis fiscaux.Depuis un an, la peur a changé de camp. L’élite corrompue de Luanda n’a plus qu’à masquer ses attributs de richesse autrefois étalés, à défaut de parvenir à quitter le pays. Sur le tarmac de l’aéroport, les jets privés de personnalités déjà ou bientôt visées par des enquêtes sont cloués au sol. Le destin de deux hommes jusque-là intouchables illustre cette tendance. Jean-Claude Bastos de Morais, financier suisso-angolais de 51 ans, a eu l’imprudence de rentrer à Luanda il y a quelques mois. Cet élégant homme d’affaires s’est toujours montré très discret sur l’activité de son groupe d’investissement, Quantum Global. C’est pourtant à travers cette structure établie à Zoug (Suisse) que la quasi-intégralité du Fonds souverain angolais, alors dirigé par son ami de jeunesse et fils de l’ex-président, José Filomeno dos Santos, 40 ans, était gérée dans la plus grande opacité via des sociétés offshore à Maurice, comme l’ont révélé les » Paradise Papers « .Les autorités de l’île de l’océan Indien ont gelé une partie des comptes, et le nouveau pouvoir angolais a limogé, en janvier, le fils dos Santos, avant de le mettre en examen pour » fraude, détournement de fonds, trafic d’influence, blanchiment d’argent et association criminelle « à la suite de la découverte d’un transfert douteux de 500 millions de dollars de la banque centrale vers un compte londonien.Depuis le 24 septembre, ces deux dandys de la finance angolaise, soupçonnés d’être les cerveaux d’un détournement de fonds pouvant s’élever à 1,5 milliard de dollars, sont en détention provisoire dans la prison de Viana, réputée pour ses conditions désastreuses. Dans un communiqué diffusé le 1er octobre, Quantum Global dénonce la » détention illégale « de son fondateur et le recours à » l’intimidation, à la cœrcition et à la violation de droits humains » pour contraindre M. Bastos de Morais » à renoncer à ses droits et à céder tous les actifs et les fonds sous la gestion du groupe « .L’Angola vit un moment charnière depuis l’arrivée au pouvoir de Joao Lourenço, en septembre 2017. Ce général à la retraite de 64 ans, apparatchik du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), dépèce méthodiquement le système affairiste de son prédécesseur, dont l’incarnation la plus éclatante est peut-être sa fille aînée, Isabel dos Santos. Considérée comme la femme la plus riche d’Afrique, elle a été remerciée de la présidence de Sonangol, la société pétrolière d’Etat, et se retrouve visée par des enquêtes, notamment pour détournements de fonds présumés.
» symboliquement très fort «
» C’est impressionnant et symboliquement très fort. Mais pour l’instant, cette purge vise uniquement les responsables du régime précédent. On pourra parler de véritable changement lorsque des hauts responsables du régime actuel seront visés par des enquêtes pour leur gestion de fonds publics, nuance le politologue Didier Péclard, du Global Studies Institute, à Genève. A travers le président Lourenço, le MPLA récupère des portions de pouvoir accaparées par le clan dos Santos, notamment ses enfants, qui avaient tenté une sorte d’OPA sur le parti. «
Bien que sélective pour le moment, cette croisade anticorruption est très populaire, au point d’être saluée et encouragée par le principal parti d’opposition. Ce qui a permis à Joao Lourenço d’asseoir son autorité. En se faisant élire en septembre à la tête du MPLA, présidé depuis trente-neuf ans par José Eduardo dos Santos, le nouveau chef de l’Etat a pu remanier à sa guise le bureau politique en écartant les derniers fidèles de l’ancien régime.
José Eduardo dos Santos ne dispose plus de vrais leviers d’influence. Avant la présidentielle, il avait fait adopter une loi empêchant de changer les chefs de l’armée et des renseignements, mais ces généraux ont été visés par des enquêtes pour corruption et remplacés. Joao Lourenço dispose désormais des pleins pouvoirs, en partie hérités de son prédécesseur, qui s’était taillé une Constitution sur mesure en 2010. Il est désormais seul responsable du destin de cette puissance régionale, deuxième producteur africain de ce pétrole qui a facilité la reconstruction du pays après la guerre (1975-2002), tout en favorisant la corruption.
L’assainissement de la vie politique et du climat des affaires est une nécessité pour Joao Lourenço, qui a promis un » miracle économique » durant sa campagne et doit regagner la confiance des investisseurs, mais aussi du FMI et de la Banque mondiale. Cette lutte contre la corruption s’accompagne d’une ouverture du pays et d’une libéralisation de la presse et des réseaux sociaux. Ce qui marque une rupture avec le népotisme d’autrefois. C’est un pas important, pensé en interne au sein du parti de Joao Lourenço. Le MPLA fait sa mue pour mieux conserver le contrôle du pays, au cœur d’une région d’Afrique encore très largement marquée par la mauvaise gouvernance.
Joan Tilouine