Après le retrait américain, Téhéran menace de sortir de l’accord nucléaire, si les Européens ne lui garantissent pas des circuits de financement alternatifs. Mais, alors que les « ultras » haussent le ton, la marge de manœuvre est réduite. Des négociations ont déjà eu lieu sur le Yémen.
• Hassan Rohani fragilisé par les sanctions américaines, les gardiens de la révolution peuvent-ils prendre le pouvoir?
Ce sera le scénario du «dernier recours», affirme au Figaro Kanani Moghadam, ancien haut responsable des gardiens. Mais il n’est pas le plus plausible. Avant même les premières sanctions américaines, entrées en vigueur le 6 août, après l’annonce par Washington en mai de son retrait de l’accord nucléaire de 2015, celles-ci ont asphyxié l’économie. Le rial a perdu plus de 50 % de sa valeur. Les importateurs ont beaucoup de mal à se procurer des dollars, et à l’étranger, l’accès aux banques se referme implacablement. Hassan Rohani, le président modéré, est affaibli. Initiative rarissime, il a été convoqué le 28 août devant le Parlement. Deux de ses ministres ont été démis. Les Iraniens sont déçus par sa politique économique. Depuis six mois, les manifestations se multiplient. À court terme, faute d’alternative crédible, le pouvoir n’est pas en danger. «Mais si la crise devenait ingérable, temporairement, les gardiens de la révolution pourraient prendre les commandes», prévient un diplomate occidental à Téhéran. «Le régime pourrait alors évoluer vers un bonapartisme, souligne l’économiste Saeed Leylaz, ex-conseiller du président Hassan Rohani.
Les gardiens sont les seuls à avoir des intérêts généraux» en contrôlant l’économie et la sécurité. «Ils ont 40 milliards de dollars de trésor de guerre et beaucoup d’or, ajoute-t-il, qu’ils pourraient utiliser pour calmer la grogne et financer le changement qu’ils préconisent.» Un homme symbolise ce durcissement: Qassem Soleimani, le patron de la Force al-Qods, le bras armé de l’Iran hors de ses frontières. C’est lui qui a permis à l’Iran d’étendre son influence depuis quinze ans en Irak, en Syrie et au Yémen. Il veut un retour sur investissement. Son portrait trône désormais à l’aéroport de Téhéran. Ses tweets sont autant de mises en garde. Hassan Rohani ne l’apprécie pas. Mais depuis qu’il a été élu président en 2013, il n’est pas parvenu à rogner les ailes des gardiens dans l’économie. «Oui, le pouvoir des gardiens sera renforcé avec les sanctions», anticipe Kanani Moghadam. «Les investissements que l’étranger ne financera pas avec le départ de ses entreprises, les gardiens, eux, les financeront.» Et le pire est à venir avec les sanctions, à partir de novembre, contre les exportations du pétrole iranien que Washington mettra en place.
• Sous pression, l’Iran peut-il céder sur son influence régionale ou le balistique?
C’est ce que demandent la France et les États-Unis, notamment. «Que vous le vouliez ou non, l’Iran fait peur», a dit, selon un témoin, Emmanuel Macron à Hassan Rohani, il y a un an lors de leur tête-à-tête à New York. Le chef de l’État pointait le rôle «déstabilisateur» de l’Iran au Yémen et en Syrie, où Téhéran soutient Bachar el-Assad, via une noria de milices. Sur le Yémen, des pourparlers ont déjà commencé. Depuis janvier, Téhéran a accepté d’évoquer ce sujet lors de deux rencontres avec la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. Une troisième pourrait se tenir en septembre. «On parle de cessez-le-feu, d’accès humanitaire, c’est un début», confie un diplomate à Paris.
Plusieurs responsables iraniens nous ont confirmé leur désir de négocier sur le Yémen. «C’est le théâtre le plus facile», note un autre diplomate européen à Téhéran. «Au Yémen, ils ont fait un investissement en hommes et en armes minimum, et stratégiquement leur intérêt est de garder un aiguillon qu’ils agitent face aux Saoudiens.» En Syrie, en revanche, c’est plus compliqué. L’Iran a un problème de stratégie. Que veut Téhéran à court, moyen et long terme? «Les Iraniens, analyse ce diplomate à Téhéran, veulent conserver une influence avec un régime avec lequel ils sont alliés depuis très longtemps, et surtout, ils veulent garder la voie sacrée vers le Hezbollah», la formation chiite libanaise qu’ils approvisionnent en armes contre Israël à partir de l’aéroport de Damas. Comment y parvenir? «En maintenant une présence de milices de morts de faim qu’ils financent comme chair à canon? Il y a peut-être d’autres façons, suggère ce diplomate. Le problème, c’est que les Iraniens n’ont pas l’habitude d’être dans une réflexion de recul.»
Pour des raisons historiques et idéologiques, négocier leurs missiles balistiques est encore plus difficile. «En négociant le nucléaire, estime un militaire à Paris, les Iraniens ont renoncé à un atout stratégique majeur. Il leur faut donc conserver un autre outil stratégique, certes conventionnel, y compris dans l’esprit du modéré Rohani.»«Notre capacité défensive n’est pas négociable», confirme Kanani Moghadam. Mais «concernant notre conflit avec l’Arabie saoudite, déclare au Figaro un officiel iranien à Téhéran, ce n’est dans l’intérêt de personne que cela dégénère. Il faut trouver un moyen de discuter. Il faut une négociation. Mais nous avons besoin d’un catalyseur. Les Russes? Non. La France a cette capacité. Elle a de bonnes relations avec l’Arabie, on a fait passer ce message à Paris. Emmanuel Macron doit préparer quelque chose». Mais, au préalable, Paris réclame que l’Iran, qui a riposté à Trump en menaçant de sortir de l’accord nucléaire et de relancer l’enrichissement nucléaire, «arrête ses menaces», a déclaré Jean-Yves Le Drian à son homologue iranien, Javad Zarif, début juillet à Vienne.
• Que veulent les États-Unis?
Changer le régime ou changer le comportement du régime? Les «faucons» autour du conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, voudraient renverser la République islamique. Mike Pompeo, le secrétaire d’État, affirme s’en tenir à un «changement du comportement» du régime, qu’il arrête, surtout, de soutenir le Hezbollah anti-israélien. Américains et Israéliens ont mis au point une cellule spéciale pour attiser les troubles en Iran. Officiellement, Trump dit être convaincu que, sous la pression des sanctions, l’Iran finira par négocier avec lui. «Ni guerre ni négociation», lui a répondu le guide suprême, Ali Khamenei. Mais le pouvoir iranien sait être pragmatique. «Quelle est sa compréhension des priorités américaines? s’interroge, toutefois, un expert étranger à Téhéran. Sous Obama, ils savaient que sa priorité était le nucléaire, puis le balistique et enfin la stabilité du Moyen-Orient. Trump, lui, privilégie la région.
Mais est-ce que le jour où les Iraniens se tiendront mieux au Moyen-Orient, les Américains seront prêts à dialoguer avec l’Iran? Pas sûr, compte tenu du traumatisme anti-iranien aux États-Unis et des puissants lobbies anti-iraniens là-bas». Et puis négocier quoi? «Le Yémen et la Syrie, ce n’est pas suffisant, les États-Unis veulent zéro enrichissement, rappelle cet observateur.Et quand ils voient l’efficacité de leur stratégie, ils disent: “ne répétons pas l’erreur d’Obama”, qui, selon eux, a négocié trop tôt, le régime n’était pas encore assez affaibli. Aujourd’hui, l’Administration Trump veut un Iran à genoux».
• Pourquoi la relation se tend-elle entre Paris et Téhéran?
Parce que Paris soupçonne Téhéran d’être derrière un projet d’attentat sur le sol français. Une première depuis trente ans. Le 30 juin, Merhad A, un Belgo-Iranien de 54 ans, est interpellé dans sa chambre d’hôtel à Paris. Il est en possession d’un téléphone portable doté d’une carte SIM autrichienne, qui ne contenait qu’un seul numéro de téléphone, autrichien lui aussi.
Ce même jour, à Bruxelles, un couple belge d’origine iranienne est arrêté avec, dans sa voiture, 500 grammes de TATP, un explosif artisanal; et en Allemagne, un diplomate iranien est également interpellé. Assadollah Assadi était en poste en Autriche, et appartiendrait au ministère iranien du Renseignement. Selon le parquet fédéral allemand qui l’inculpe, il est en charge de «l’observation et de la lutte contre les groupes d’opposition à l’extérieur de l’Iran». C’est lui qui aurait remis l’explosif au couple de Bruxelles.
«Il semble bien que ce soit l’Iran derrière le projet d’attentat. Le président Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, n’étaient pas au courant, ils sont les premières victimes»
De son côté, Merhad A est soupçonné de «tentative d’assassinat terroriste» et de «préparation d’attentats», selon les termes du mandat d’arrêt européen émis par la justice belge. En effet, ce 30 juin, des opposants iraniens, les Moudjahidins du peuple, tenaient leur rassemblement en banlieue parisienne, auquel participaient deux proches de Donald Trump, dont l’ex-maire de New York, Rudy Giuliani, et deux anciens ministres français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner et Philippe Douste-Blazy, tous dûment rémunérés.
«Une telle réunion ne peut se tenir sans l’aval des services français, confie un officiel à Téhéran. On l’a dit à l’Élysée, cela casse la confiance entre nous». «Il semble bien que ce soit l’Iran derrière le projet d’attentat», révèle un haut représentant du Quai d’Orsay, qui ajoute: «Le président Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, n’étaient pas au courant, ils sont les premières victimes.» Le projet serait l’œuvre de factions radicales de «l’autre Iran», opposé à tout rapprochement avec l’Occident. L’affaire a de graves conséquences. Selon nos informations, Paris a suspendu la nomination d’un nouvel ambassadeur à Téhéran. Et mardi dernier, Reuters révélait qu’une note du Quai d’Orsay appelait ses diplomates à «différer» tout déplacement en Iran. Pour Téhéran, il s’agit d’une manipulation orchestrée par ses «ennemis», israéliens et américains.