Certains esprits chagrins ne voient, dans la multiplicité de telles rencontres, que cacophonie et non-coordination. Ils oublient que c’est là un signe d’un réveil de l’opinion publique et d’une santé démocratique en dépit de tout ce qui a été entrepris pour tuer toute vie politique, faire disparaître toute multiplicité d’opinions et imposer une pensée unique dont le pivot est le fallacieux « consensus » obtenu entre forces de facto qui prétendent représenter le peuple libanais segmenté en confessions.
Les rencontres qui ont eu lieu la semaine dernière se distinguent par deux traits communs :
– Elles ont regroupé des forces citoyennes (individus indépendants, leaders d’opinion, partis politiques, formations, groupes etc.) dont la réflexion s’appuie sur un pivot : l’individu comme sujet-citoyen et ses droits, et non les communautés et leurs privilèges.
– Leur volonté de livrer bataille lors des prochaines législatives afin de briser l’hégémonie qu’exerce actuellement la « camarilla » (al-manzouma) qui dirige le pays dans l’obscurité des coulisses. L’objectif est de pouvoir faire arriver entre 8 et 10 députés issus des rangs de ce front national d’opposition. Un tel nombre serait suffisant pour faire basculer une majorité dans un sens ou dans l’autre.
Certaines de ces rencontres, telle celle de l’hôtel Riviera, ont un caractère plus marqué de think tank sur le plan de la réflexion. D’autres, à l’image de celles du Forum de Beyrouth ou de l’hôtel Monroe, appartiennent plutôt au registre de l’action et se distinguent par leur souhait de constituer un front national d’opposition chargé d’affronter ladite « camarilla » aux prochaines élections.
Ce n’est un secret pour personne que ces initiatives émanent, à l’origine, soit de partis politiques classiques, soit de formations politiques opposantes. On souhaite que les uns et les autres puissent parvenir à coordonner leurs efforts en vue de soumettre à l’opinion publique une sorte de vision sous forme de programme commun, dont l’élaboration n’est pas encore achevée.
Mais, en dépit de la diversité des approches, il est remarquable de constater chez tous ces représentants de l’opinion publique :
– L’extraordinaire dynamisme de l’implication dans le débat public et dans la vie politique.
– Le dépassement relatif de l’acuité de la division verticale, depuis 2005, entre deux camps inconciliables tout en ne remettant pas en cause les principes intangibles de souveraineté, de liberté et d’indépendance.
– La permanence d’une indiscutable culture démocratique
– L’émergence d’un intérêt croissant en faveur du sujet-citoyen et de ses droits, signe que les valeurs de la modernité sont agissantes
– Une même volonté d’affirmer la souveraineté de l’État et son exclusivité à exercer la violence armée
– Le refus de tout esprit milicien et de toute culture du compromis imposé par les forces de facto au détriment des procédures constitutionnelles
– Un même désir de faire le ménage au sein de l’administration actuelle afin de construire un État moderne, etc.
Toutes ces forces pourront-elles réussir à briser le monopole de la camarilla qui a pris le Liban en otage? Oui, à une seule condition : elles doivent parvenir à constituer des listes uniques d’opposition dans les 15 circonscriptions électorales. Cela suppose de mettre une sourdine aux « ego » particuliers et d’accepter de perdre une bataille si cela peut faire réussir quelqu’un d’autre dans une autre circonscription. Cela signifie qu’il n’est point besoin de former un parti qui regroupe tout le monde si tout le monde partage la même vision et adhère au même programme. Bien au contraire, diverses stratégies doivent pouvoir être implantées dans les différentes circonscriptions en fonction des réalités locales.
Mais le plus important et le plus difficile reste à faire : comment communiquer avec l’opinion publique et comment convaincre la plus large assise populaire possible ?
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*Beyrouth