L’espace d’un instant, il a pensé que son rôle s’arrêterait là. Qu’il « avai[t] fait le job ». De retour de New York, le 24 septembre, à bord de l’avion du président français, Ofer Bronchtein oscille entre euphorie et spleen. Quarante-huit heures plus tôt, le Franco-Israélien, conseiller officieux d’Emmanuel Macron, avait assisté, les yeux embués, au discours du chef de l’Etat depuis la tribune des Nations unies, désertée par la délégation israélienne.
« Le temps est venu », expliquait Emmanuel Macron, dénonçant la « barbarie » du Hamas, auteur des attaques terroristes du 7 octobre 2023 en Israël, et « la négation de l’humanité de l’autre » à Gaza, où les civils affamés sont ciblés par l’armée israélienne. « Fidèle à l’engagement historique de mon pays au Proche-Orient, pour la paix entre le peuple israélien et le peuple palestinien, je déclare que la France reconnaît aujourd’hui l’Etat de Palestine », avait poursuivi le président français.
Ofer Bronchtein en avait frissonné. « C’est le combat de ma vie », confie-t-il au Monde, début octobre, dans un café de la rue de la Roquette, à Paris, où les serveurs sont habitués à le voir naviguer entre les tables avec son fauteuil roulant. Une infirmité liée à la dégradation de sa maladie respiratoire, une bronchopneumopathie chronique obstructive qui le prive d’oxygène.
Ofer Bronchtein attendait ce moment depuis quarante ans. Le sexagénaire, né à Beersheba, dans le Néguev, qui a reçu un passeport palestinien en 2011 des mains de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, croit ne pas être étranger à la conversion du président en faveur de la cause palestinienne. Depuis 2020, il n’a, dit-il, cessé de répéter à Emmanuel Macron que « la France d[eva]it reconnaître la Palestine ». Le président lui répondait gentiment : « Le moment venu. » Jusqu’à ce 22 septembre, à New York.
Mais maintenant ? Avec son geste, la France a affronté la fureur du premier ministre de l’Etat hébreu, Benyamin Nétanyahou, mais elle n’a plus les leviers d’antan pour promouvoir une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens. « Ofer est comme ces gens qui viennent d’escalader un sommet et se rendent compte qu’il y a une montagne derrière », observe John Lyndon, directeur exécutif de l’Alliance pour la paix au Proche-Orient.
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Il ignore les menaces
C’est à Jérusalem, en janvier 2020, lors de son premier déplacement officiel en Israël, qu’Emmanuel Macron découvre l’activiste. « Tu devrais voir Ofer », lui avait suggéré, avant son départ, l’icône de Mai 68 Daniel Cohn-Bendit, vantant les qualités de ce « phénomène ». « Ofer ne fait pas de simagrées diplomatiques », loue l’ex-eurodéputé, qui a connu le militant lorsque celui-ci organisait des rencontres entre Palestiniens et Israéliens au Parlement de Strasbourg. A l’époque, le président apprécie surtout Meyer Habib, qui lui fait profiter de son entregent avec Benyamin Nétanyahou et les membres du Likoud.
Mais, lors de ce voyage, Emmanuel Macron remarque cet homme qui parle fort et sert de traducteur entre le français et l’hébreu pour les gardes du corps et les membres de la délégation….. Six mois plus tard, le président confie une « mission » au cofondateur du Forum international pour la paix, consistant à « aller à la rencontre des acteurs et personnalités des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes (…) afin de les interroger sur les conditions de la relance des processus de paix ».
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En Israël, Ofer Bronchtein n’est pourtant pas, ou plus, une figure connue. Etiqueté régulièrement comme un ancien conseiller d’Yitzhak Rabin (premier ministre israélien de 1974 à 1977, puis de 1992 à 1995), il relativise. « Je n’étais pas dans le premier cercle. Ce que j’ai fait avec Rabin ressemble un peu à ce que j’ai fait avec Macron », dit-il, depuis son appartement proche de la Bastille…..
« L’assassinat d’Yitzhak Rabin a été un séisme personnel, humain, politique », se souvient-il. Ofer Bronchtein quitte sa terre natale pour la France, laissant un joyeux bazar financier au sein de l’organisation qu’il dirigeait alors, le Centre pour la paix au Moyen-Orient, dit une source israélienne. ..
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. Aujourd’hui déterminé à poursuivre, malgré les entraves, son rôle de conseiller de l’ombre d’Emmanuel Macron, il a rédigé un rapport de 26 pages pour dessiner l’avenir de l’enclave d’ici à 2035 et chiffrer les fonds nécessaires à sa reconstruction. Le document est titré « Imagine Gaza ». « C’est peut-être un peu idéaliste à la John Lennon », dit-il en souriant.
