Lorsque j’étais en Syrie, nous demandions à ceux qui allaient en France de rendre visite à Rimbaud et de déposer en notre nom des fleurs sur sa tombe. Mais, jusqu’à ce jour, personne n’avait pu le faire. Jamais je n’aurais pu imaginer que ce serait moi qui concrétiserais notre rêve à tous.
J’ai attendu avec impatience le matin. J’allai rendre visite à Rimbaud !
J’ai mal dormi, j’étais émue, j’allai rendre visite à Rimbaud !
Sur le chemin, j’ai décidé d’oublier mes angoisses.
Me laisser libre, juguler mes émotions et m’ouvrir spontanément à tous nouveaux sentiments.
J’ai attendu les battements de mon coeur à Charleville.
Je suis arrivée à Charleville et mon coeur n’a pas battu !
J’ai cherché Rimbaud mais je ne l’ai pas trouvé.
J’avais imaginé que tous les visages à Charleville porteraient la trace de celui de Rimbaud, que cela me sauterait aux yeux !
Nous sommes arrivés à la place Ducale, où le bureau de l’office du tourisme se trouve.
Malgré nos recherches sur Internet pour bien organiser notre visite, je suis tout de même allée à la pêche aux informations.
Nous avons commencé par sa maison natale. Le quartier m’a choqué : rue commerciale, magasins, vêtements, soldeurs… nous ne pouvions pas accéder à sa maison, car des gens y habitent ! C’en était trop, ne pouvoir que regarder de loin le panneau sur le mur : ici vécu Arthur Rimbaud, 1869- 1875. Quelle déception !
Nous sommes revenus sur la place pour prendre la rue du Moulin, où le bâtiment de l’ancien moulin a été transformé en musée. Celui-ci était encore fermé. Nous avons commencé par lire les petits panneaux sur la tranche du mur du Quai du Moulin : la maison familiale de Rimbaud… Soudain, je me suis retournée et mon regard est tombé sur la maison qui fait face au musée, elle se trouve sur l’autre rive…
Une maison moins triste que la première, ici Rimbaud et sa famille ont emménagé pour échapper au père. Maison triste quand même. Je comprends mieux maintenant pourquoi Rimbaud s’est enfui à Paris. Après son départ de Charleville, seule l’insistance de sa mère le fit revenir pour de nouvelles fuites.
Une nouvelle fois, il est impossible d’accéder à la maison de Rimbaud, quelle déception !
Tout dans cette ville est triste, mou, lent, silencieux… même les cafés sont gris, ils ne sont pas comme les cafés parisiens où les lumières, le bruit, l’énergie, la joie se mélangent…
Finalement j’ai trouvé un café qui expose des photos de l’enfant du pays, Rimbaud.
A Charleville, j’ai le sentiment que tous rejettent Rimbaud. Même le musée qui a regroupé tout et rien sur Rimbaud. Cela sent le devoir. Charleville n’aime pas Rimbaud, elle fait ce qu’elle doit faire, sans gestes d’amour.
J’ai écrit un mot pour Rimbaud dans le livre d’or des visites et puis nous sommes partis, Philippe et moi, pour continuer sur les traces fugitives du poète.
Nous avons traversé plusieurs rues pour arriver au fameux café. Nous avons marché longtemps jusqu’à ce que je l’aperçoive au loin. Je connais par cœur tous les événements liés à Rimbaud. J’ai reconnu le café de loin, car je le connaissais depuis longtemps par les images sur Internet…
Quelle déception ! Il ne reste du café que le nom… ici Rimbaud rencontrait Verlaine… tout est nouveau… j’ai jeté un oeil sur l’extérieur puis sur l’intérieur. Même pas une photo symbolique de l’artiste, rien, vraiment rien sur Rimbaud… comme s’il n’avait jamais été là… je ne suis pas entrée… nous avons continué vers la Gare, où Rimbaud passait à chaque fois qu’il rejoignait ou quittait Charleville.
Voilà, maintenant, le moment plus sérieux, le moment plus touchant, ici peut-être mon coeur va-t-il battre, maintenant le moment dont je rêvais… le cimetière. Ici, Rimbaud s’est couché concrètement : Arthur Rimbaud, 37 ans, 10 novembre 1891, priez pour lui.
Mais les fleurs !
Je n’ai pas imaginé que je puisse me présenter devant Rimbaud sans fleurs. Rimbaud mon saint.
Malgré la fatigue, nous avons monté la rue du cimetière en cherchant un fleuriste… Quelle déception ! Il y a un coiffeur, un bureau d’assurance, des restaurants, un boulanger fermé, mais pas de fleuristes…
Quelle honte pour Rimbaud !
Les fleurs sont devant moi, partout, sur les terrasses, les fenêtres, les balcons, les jardins des grands immeubles, et moi, j’ai juste besoin d’une fleur…
Quelle tristesse !
Au pied d’un arbre poussaient quelques fleurs des champs, j’en ai cueillies deux, une blanche et une jaune, les deux seules couleurs qui s’offraient à moi, comme on dit « par défaut »… je suis entrée dans le cimetière avec Philippe, pour enfin toucher l’âme de Rimbaud.
Rimbaud accueille les visiteurs, il repose à l’entrée, nous n’avons pas besoin de le chercher, il est là, devant tous, bien surveillé et protégé pour qu’il ne puisse s’enfuir. Il n’est pas seul, il partage sa couche avec la petite Vitalie. Les deux sont bien enfermés dans une cage… pour toujours, qu’ils le veuillent ou non, ils appartiennent à la famille Rimbaud.
Si j’avais le choix je l’appellerais « Arthur » pour le venger de ceux qui emprisonnent Rimbaud dans sa naissance et dans sa mort.
J’ai touché sa tombe, caressé sa tête, ses cheveux avec tendresse comme ceux d’un garçon qui n’est pas encore dans sa sixième année, un garçon franc et plein de colère. J’ai commencé par lui parler en français, et puis, soudain, sous l’émotion, sans réfléchir, je me trouvais à lui parler en arabe, à lui réciter « al Fatiha » sur son âme… j’ai honte de moi. Pourquoi ai-je oublié que je suis devant un poète français ?
Je suis triste comme si Rimbaud nous avait quitté hier.
J’ai senti l’injustice pour Rimbaud d’être enterré là, à Charleville, la ville d’où il s’enfuyait pour rejoindre Paris et d’autres villes.
Pourquoi son âme est-elle emprisonnée la ?
Si j’en avais le pouvoir, je proposerais que Rimbaud soit enterré à Paris avec ses amis, avec Verlaine.
Et là, c’est la boîte aux lettres de Rimbaud ! En face de sa tombe, pour que les gens puissent lui écrire. Et lui, à son tour, quand la nuit tombe, quand il est totalement libre, quand le cimetière se ferme. Il commence son boulot, lire et répondre aux courriers, à sa manière… Rimbaltique !
Quand je me suis éloignée de sa tombe, j’ai senti qu’il s’approchait de moi… il ne veut pas rester a Charleville, il est seul… triste, rejeté !
Viens Rimbaud, viens…
« Je comprends maintenant pourquoi je lui ai parlé en arabe : dans le musée, il y a un dictionnaire arabe, on pense que Rimbaud a appris l’arabe et le comprend, donc je n’avais pas tort ».
Dans la voiture, nous ne sommes pas que deux, Philippe et moi, mais nous sommes trois, Philippe, Arthur et Moi.
La mort est incapable d’éteindre l’énergie de Rimbaud, le cimetière est impuissant, il ne peut confiner l’âme révolutionnaire de Rimbaud. Il est là, avec moi, avec vous, avec tous ceux qui croient en lui. Nous portons, nous tous, qui l’aimons, une partie de lui, une partie de Rimbaud.
Je me rends compte maintenant que Rimbaud n’est nulle part, il est hors du lieu, mais pour croire cette vérité, il faut aller à Charleville. Il faut le chercher là-bas, ne pas le trouver pour le trouver, et comprendre qu’il n’est plus à Charleville !
mahahassan1968@yahoo.fr
Charleville et Rimbaud
Bonjour, je suis au lycée en classe de première économique et social, j’habite à Charleville. Je fais un exposé (pour le bac, tpe) sur Arthur Rimbaud. Votre article à retenu mon intention, j’aimerais savoir ce qui vous fait penser que Charleville n’aimait (n’aime toujours) pas Rimbaud ? Pensez vous que ces musées sont la pour des raisons économiques ou pour l’admiration d’Arthur Rimbaud ? Je vous remercie d’avance, cordialement.