Le cardinal Nasrallah Sfeir, patriarche de la communauté maronite (catholique) libanaise, n’en demandait pas tant. A l’approche de la date limite du 23 novembre à minuit pour l’élection par le Parlement d’un nouveau président de la République, c’est sur lui que convergent toutes les sollicitudes, pour pallier les divisions profondes qui séparent les dirigeants politiques, y compris au sein de sa communauté.
Le patriarche s’entend demander presque de toutes parts de choisir lui-même le présidentiable, que le Parlement ne ferait qu’adouber, ou pour le moins de dresser une liste de personnalités dignes à ses yeux d’accéder à la fonction. Manière pour les politiques de se défausser de leurs responsabilités nationales, sous le double prétexte que c’est à la communauté maronite que revient de droit la présidence de la République et qu’il faut, en la matière, redonner à cette communauté le statut de primus inter pares longtemps nié par les diktats de l’ancien tuteur syrien.
Mgr Sfeir a maintes fois déclaré qu’il n’entendait pas se substituer au Parlement et qu’il ne désignerait personne parmi ou hors de la bonne douzaine de présidentiables déclarés ou présumés. Il a réaffirmé cette position, mardi 6 novembre, selon plusieurs de ses visiteurs. Sur un ton dépité, il s’était interrogé un jour : « Tiendrait-on compte d’une liste (de présidentiables) si je la dressais ? »
Il faisait implicitement allusion au revers essuyé en 1988, lorsque Damas n’avait tenu aucun compte d’une telle liste, qu’il avait pourtant été prié de dresser. Il n’a pas non plus oublié deux autres échecs, en 1995 et en 2004. Le régime syrien avait fait fi de son hostilité à tout bricolage constitutionnel et avait imposé la reconduction pour trois ans dans leurs fonctions d’Elias Hraoui puis d’Emile Lahoud.
Le patriarche continue aujourd’hui d’opposer son refus à tout amendement constitutionnel, face à ceux qui évoquent à nouveau une telle modification pour permettre l’accession à la présidence du commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleiman. Son refus est également justifié par son aversion, elle aussi traditionnelle, au pouvoir des militaires. Sauf si, a-t-il dit un jour, il s’agit de « sauver le pays » du naufrage.
Mgr Sfeir ne s’est pas pour autant cantonné dans une attitude de refus systématique. Faute de pouvoir réunir autour d’une même table les principales personnalités politiques maronites de la majorité et de l’opposition, il les a rencontrées séparément. Dès l’été, il avait brossé un profil du futur président. En collaboration avec l’assemblée des évêques de sa communauté, il a également établi des règles du jeu en vue de l’élection présidentielle.
Le futur président, selon le portrait- robot désormais inscrit dans tous les esprits, ne doit « pas avoir à rougir de son passé ». Il doit avoir « fait ses preuves dans l’arène politique », être armé « de courage et d’un sens du sacrifice ». Il doit aussi être « capable de dire « non » lorsque l’intérêt national l’exige », être fort d’un bagage intellectuel honorable et être enfin réputé avoir « les mains propres ».
A l’heure où la majorité et l’opposition continuent de polémiquer sur le quorum de députés requis pour l’élection présidentielle (l’opposition menace de boycotter le scrutin si aucun accord ne se dégage autour d’une personnalité consensuelle), le cardinal Sfeir et les évêques ont rappelé les parlementaires à leur devoir : boycotter le scrutin revient à boycotter la patrie, ont-ils prévenu. L’idéal, à leurs yeux, serait que les députés fassent leur choix entre plusieurs candidats, comme cela aurait été le cas dans toute république parlementaire.
Compte tenu de l’acuité de la crise, Mgr Sfeir affirme jusqu’à présent souhaiter un président consensuel. Les chances de voir ce souhait devenir réalité semblent très minces, à une vingtaine de jours de la fin du mandat de l’actuel chef de l’Etat.
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