Il faudra bien qu’un jour les Libanais, simples citoyens autant que personnages publics, se mettent à faire la part des choses. À ne plus laisser leurs opinions, convictions et autres passions masquer la réalité des faits. À ne pas permettre non plus aux faits bruts d’occulter d’autres réalités non moins incontournables, à l’ombre d’une démocratie libanaise qui n’a pas encore trouvé le moyen magique de concilier règne des institutions et démocratie consensuelle.
Cet effort de réalisme à double niveau, sinon à double face, les résultats des élections partielles de dimanche dernier nous y invitent avec autorité. À la différence de ce qui s’est passé à Beyrouth II où le courant haririen n’affrontait pas d’opposition notable, les enjeux paraissaient énormes dans le scrutin du Metn. C’est un authentique combat de chefs, des chefs briguant ouvertement ou non la présidence de la République qui y a eu lieu en effet, même si, pour l’un des protagonistes, il n’était livré que par procuration.
Qui a gagné, qui a perdu ? Et la mise qui a été raflée en fin de partie est-elle vraiment à la hauteur des enchères de départ ? Techniquement parlant, les chiffres, dans leur extraordinaire maigreur, ont parlé ; ils ont désigné un vainqueur, le Courant patriotique libre, et il serait aussi vain qu’outrancier de le nier. Face à l’ancien chef de l’État, leader de parti de premier plan et héritier d’une grande famille politique qu’est Amine Gemayel, le général Aoun a même poussé le défi jusqu’à aligner un militant totalement inconnu du grand public, un docteur Dupont qui ira étoffer un peu plus cependant un bloc parlementaire déjà consistant.
Il reste que ces mêmes chiffres n’ont pas fini de parler. Ce qu’ils disent clair et haut aussi, ces chiffres, c’est que Michel Aoun, tout vainqueur qu’il soit, ne peut absolument plus prétendre représenter 70 pour cent de l’électorat chrétien. Il ne fait aucun doute qu’une large part de celui-ci ne lui pardonne pas son flirt poussé avec des forces politiques – le Hezbollah en tête – indécrottablement alliées à la Syrie : des forces montées à l’assaut du pouvoir de surcroît, et que l’on voit mal aidant effectivement le général à redonner lustre et consistance à une présidence de la République effroyablement démonétisée par son actuel détenteur.
À l’inverse, le verdict des urnes ne fait certes pas d’Amine Gemayel un homme fini. Évincé lui aussi en 1964 dans le Chouf par un médecin fraîchement entré en politique, le regretté président Camille Chamoun n’en avait pas moins continué d’occuper longtemps le centre de la scène politique. Gemayel, qui reste un des principaux piliers du Rassemblement du 14 Mars, n’a été battu que d’extrême justesse, face à une redoutable coalition qui, autour du CPL, regroupait entre autres la proverbiale machine électorale du député Michel Murr, pourvoyeuse de services en tous genres à une population sevrée de prestations étatiques, et le parti arménien Tachnag dont le vaste électorat obéit à une discipline de vote non moins légendaire : un parti dont il n’est pas inutile de rappeler que s’il se positionne dans l’opposition, c’est qu’il a été exclu (lui aussi !) par l’invraisemblable alliance électorale de 2005 qui accoucha d’une majorité souverainiste acculée à la défensive et d’une minorité prosyrienne acharnée à se comporter en maîtresse du pays.
En accusant dimanche le Tachnag de fraude, l’ancien président, par la vivacité de son ton, aura malencontreusement heurté diverses et prestigieuses instances au sein de cette communauté libanaise. En rectifiant très vite le tir, en lançant des appels à des retrouvailles chrétiennes, gage de la survie du Liban, il a cependant montré la voie de la solution.
Reste le plus navrant, le plus important aussi. Les scrutins partiels du Metn et de la capitale ne visaient pas à pourvoir des sièges laissés vacants par quelque disparition naturelle. Pierre Amine Gemayel et Walid Eido ont été lâchement assassinés dans le but évident d’écorner, de la plus infâme des manières, une majorité rebelle à la tutelle et croyant en un Liban libre et souverain. La bataille de Beyrouth n’a pas eu lieu faute de combattants. Et l’équivoque bataille du Metn n’aurait pas dû avoir lieu si le CPL, conséquent avec lui-même, avait décliné un appel aux urnes lancé par un gouvernement qu’il tient pourtant pour illégal. S’il avait résisté à la tentation d’une victoire qui, par maints de ses aspects, s’avère bien ingrate. Si, en s’abstenant, il s’était joint à tous ceux qui soutiennent que le crime ne paie pas, qu’il ne doit pas payer.
Le mot de la fin ? C’est un chiffre : le 418, comme on l’aura deviné. Car tout compte fait, ce n’est pas le Tachnag, ce n’est pas la machine Murr ni les adeptes de la Grande Syrie qui auront propulsé le Dr Camille Khoury à l’Étoile. Ce sont ces singuliers touristes arrivés par cars entiers dimanche de Syrie pour remplir leur devoir électoral. Comme ils le font consciencieusement tous les quatre ans depuis qu’ils ont été naturalisés par des mains criminelles.
Issa GORAIEB
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