Vladimir Poutine et son entourage sont depuis longtemps suspectés d’être à la tête d’une vraie fortune, abritée derrière des montages sophistiqués dans les paradis fiscaux : les câbles diplomatiques américains, révélés en 2010 par WikiLeaks, évoquaient déjà ses « actifs secrets détenus à l’étranger » par le biais de prête-noms.
L’enquête publiée par Le Monde en apporte aujourd’hui la preuve. Des milliers de documents comptables de la société panaméenne de domiciliation de sociétés offshore Mossack Fonseca ont été analysés par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) et la Süddeutsche Zeitung. Ils révèlent comment l’entourage du président russe a amassé pendant des années plusieurs centaines de millions d’euros puisés dans l’argent public, au service de l’oligarchie du régime.
Ces hommes sont les amis du président. Tous proviennent des environs de Saint-Pétersbourg – Vladimir Poutine, officier du KGB, était alors l’éminence grise du maire de la deuxième ville du pays. Ils ont fondé dans les années 1990 la « coopérative Ozero », pour construire des datchas dans la région, et mis en commun une partie de leur fortune. Dans le sillage de Vladimir Poutine, ils sont devenus ministres ou milliardaires et forment le cœur de la nouvelle oligarchie russe.
Les techniques utilisées pour sortir de Russie des sommes colossales témoignent d’une inventivité infinie : crédits accordés par des banques publiques russes et jamais remboursés ; prêts transférés de main en main jusqu’à s’évaporer ; cessions d’actions fictives ; honoraires salés pour des« conseils » nébuleux ; compensations accordées en échange de prétendues opérations commerciales avortées… Près d’un milliard d’euros ont transité vers les Caraïbes entre 2009 et 2011 par le biais de sociétés-écrans.
Bank Rossia, la « banque des copains » du clan Poutine
Le recours à l’offshore a permis au régime un contrôle discret, mais croissant sur les secteurs stratégiques de l’économie russe, notamment les médias. Les avocats panaméens de Mossack Fonseca multiplient docilement les montages, mais s’inquiètent parfois de l’imprudence des commanditaires russes. En voyant passer en 1999 un prêt non garanti de 92 millions d’euros, l’un des fondateurs du cabinet-conseil se risque à écrire, dans une note interne : « Nous pourrions être en présence de paiements d’origine douteuse pour des destinations douteuses. »
Le pivot des montages offshores est une banque de Saint-Pétersbourg, Bank Rossia, assistée d’une discrète société d’avocats suisses. Un responsable de la Maison Blanche la décrivait en 2014 comme la « crony bank » du régime, la« banque des copains ». Son principal actionnaire est Iouri Kovaltchouk, lui aussi ami du président et ancien d’Ozero ; il passe pour « le banquier personnel » de Vladimir Poutine.
Sergueï Roldouquine, homme de paille de Poutine
Un autre proche du président joue un rôle décisif. Sergueï Roldouquine est violoncelliste professionnel, soliste du prestigieux théâtre Mariinsky et recteur du conservatoire de Saint-Pétersbourg. C’est le meilleur ami de Poutine, il lui a présenté sa femme hôtesse de l’air, est devenu le parrain de sa fille cadette. Et son homme de paille. Le musicien déclarait avec candeur en septembre 2014 au New York Times, « j’ai un appartement, une voiture et une datcha. Je n’ai pas des millions. » Il est vrai que ce ne sont pas vraiment les siens, mais Sergueï Roldouquine apparaît dans au moins sept sociétés offshores au Panama, dans les îles Vierges britanniques ou à Belize.
Station de ski, yacht club et mariage fastueux
Il reste difficile de connaître la destination finale de cette machine à cash montée au Panama. Il s’agit d’abord d’investir le cœur des industries stratégiques russes, comme cette tentative avortée de mettre la main pour une bouchée de pain sur le fabricant de camions Kamaz, fleuron du complexe militaro-industriel. Mais le circuit de l’argent sale permet aussi de soutenir les affaires de l’un ou l’autre des membres du clan. Et parfois de faire un petit cadeau : 7,6 millions d’euros sont ainsi rapatriés en Russie en 2011 pour le yacht-club du fils de Iouri Kovaltchouk, l’actionnaire principal de Bank Rossia.
Le président Poutine lui-même sait faire preuve de largesse : l’argent du Panama a aussi financé une plaisante station de ski des environs de Saint-Pétersbourg, grâce à des prêts de 10 millions d’euros d’une société offshore. Tout était ainsi prêt pour y abriter en février 2013 le fastueux mariage d’Ekaterina, la fille cadette de Vladimir Poutine, arrivée dans un carrosse princier tiré par trois magnifiques chevaux blancs.