À l’heure où nous célébrons le soixantième anniversaire du traité franco-allemand de l’Élysée, difficile de trouver la trace du couple stratégique. L‘ALLEMAGNE a des capacités militaires, mais hésite à les utiliser pleinement sans l’aval américain. La France se retrouve orpheline d’un partenariat avec Berlin auquel elle semble être la seule à croire.
Le couple franco-allemand fonctionne-t-il encore dans le domaine stratégique ? Alors que nous nous apprêtons à fêter, dimanche, le soixantième anniversaire du traité de l’Élysée, entre la France et l’Allemagne, la question mérite d’être posée à la lumière de la guerre russo-ukrainienne et du débat en cours sur les livraisons d’armes lourdes à l’Ukraine.
Il est fascinant à cet égard d’observer les positionnements et tâtonnements des différents partenaires occidentaux, à l’approche de la rencontre cruciale de Ramstein entre alliés de l’Otan, prévue ce vendredi. L’Europe de la fermeté – Pologne et Grande-Bretagne en tête – s’est clairement positionnée à l’avant-garde pour entraîner les autres. Ainsi les Britanniques, qui ont peu de matériel opérationnel, n’en ont-ils pas moins annoncé les premiers qu’ils enverraient 14 chars Challenger à Kiev. Très impliquée en Ukraine, la Pologne, qui dispose dans ses stocks de chars allemands Leopard, attend avec une impatience mal contenue un feu vert de Berlin pour organiser elle aussi le transfert de 14 blindés. Le premier ministre Mateusz Morawiecki a fait monter la pression ce jeudi en déclarant que son pays serait prêt à passer outre l’autorisation allemande. « Soit nous obtenons un accord rapidement, soit nous ferons ce qui est juste… Le consentement est un sujet secondaire », a-t-il lâché, visiblement excédé. La Finlande, située sur la ligne de front, dit elle aussi attendre avec impatience la décision de Berlin pour envoyer « un nombre limité » de chars lourds.
Il est à noter que les États-Unis, l’Allemagne et la France n’ont toujours pas tranché en faveur d’un envoi de chars lourds à l’Ukraine. « Biden, Scholz et Macron semblent unis dans leur crainte de l’escalade », note l’ambassadeur Michel Duclos, qui suit les affaires diplomatiques à l’Institut Montaigne. Les Américains doivent annoncer de nouvelles livraisons d’armes, mais ne prennent pas de décision sur les Abrams, invoquant non pas des craintes d’escalade, mais des problèmes logistiques de transfert. Les Allemands affirment, quant à eux, qu’ils ne prendront pas de décision sur les Leopard sans une décision conjointe des Américains. Cette dépendance à l’oncle d’Amérique est frappante, au moment où l’Allemagne annonce sa « révolution stratégique » destinée à acter « le fameux changement d’époque ». L’hésitation d’Olaf Scholz à franchir le pas semble indiquer que les Allemands ont beau vouloir sortir de la naïveté d’une politique étrangère fondée exclusivement sur le commerce, ils ne sont pas prêts à se poser en leader stratégique. « L’incitation qu’a voulu donner Paris en annonçant l’envoi de chars légers AMX n’a pas pesé ; Washington compte plus que Paris », remarque Michel Duclos, qui n’exclut toutefois pas que les deux pays profitent de leur sommet bilatéral pour annoncer une décision commune et faire mentir les sceptiques. À plus long terme, il invite les Français à méditer le fait que l’affaire des Leopard ne montre pas seulement la lenteur de la métamorphose de Berlin. « Elle montre que l’Allemagne a des moyens stratégiques réels, contrairement à nous. » « Si cette capacité stratégique augmente, cela changera les équilibres en Europe », avertit-il, soulignant qu’« une page est déjà tournée » et que « la France n’est déjà plus pour Berlin qu’un partenaire parmi d’autres ».