Les attaques de drones contre l’Ukraine sèment la mort et l’effroi mais ne changent rien à la guerre. Lundi, une nouvelle salve a touché Kiev ainsi que d’autres régions. Les forces ukrainiennes ont assuré avoir intercepté 39 drones dont 22 visaient la capitale. Des dégâts sur les infrastructures électriques ont été rapportés. Malgré des attaques constantes et massives depuis trois jours, les autorités ukrainiennes affichent toujours la même détermination, comme pour conjurer l’épuisement qui menace. Les Russes « sont en train de perdre. Les drones, les missiles et tout le reste ne les aideront pas. Parce que nous sommes ensemble », a déclaré dimanche soir le président Volodymyr Zelensky. L’homme affiche une volonté de fer. Mais après dix mois d’offensive, de contre-offensive et de résistance, les Ukrainiens, comme les Russes, vont devoir se préparer à une nouvelle étape pour éviter le piège d’une guerre d’usure.
« Les Ukrainiens préparent quelque chose, c’est évident », confiait le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, mercredi dernier, à l’issue de son entretien avec Volodymyr Zelensky mercredi. Ils attendent des conditions climatiques plus favorables. Le ralentissement actuel des combats permet de reconstituer les stocks.
Les options sont multiples sur un front de 900 km, voire plus, et les inconnues de l’équation nombreuses. Au nord, l’hypothèse d’une intervention venue de Biélorussie empêche de dégarnir les forces. Au sud, les Russes ont densifié leurs positions pour protéger la Crimée. À l’est, les combats se concentrent autour d’Avdiivka, au nord de la ville de Donetsk, et surtout à Bakhmout, où les pertes humaines semblent monumentales. « Les Russes ont perdu jusqu’à 5 000 soldats par jour », ont confié les autorités ukrainiennes aux militaires français. Ceux-ci sont plus prudents dans leurs estimations du nombre de morts. Mais le coût humain de la bataille de Bakhmout paraît démesuré par rapport à son intérêt stratégique. « L’enjeu est d’abord russo-russe », pense Sébastien Lecornu en rappelant qu’à Bakhmout les affrontements sont conduits par la société militaire privée d’Evgueni Prigogine. « Wagner veut montrer qu’il peut l’emporter là où l’armée russe perd », dit-il. Si l’armée russe l’emporte, elle pourrait aussi s’ouvrir une route vers le centre du pays et contrecarrer les perspectives de contre-offensives ukrainiennes.
Reconquérir le Donbass représente aussi un enjeu pour Kiev, comme en témoignent les combats près de Donetsk. Mais en imposant des pertes exorbitantes aux Russes, les forces ukrainiennes visent aussi un autre objectif. Elles espèrent que « ça va diffuser dans les familles russes » et « fragiliser le discours » de Vladimir Poutine, analyse le ministre. À condition que le tribut humain ukrainien ne soit pas non plus disproportionné.
Pour espérer remporter la guerre, les forces ukrainiennes ne pourront pas s’en tenir à une stratégie défensive. Dans la liste de leurs objectifs potentiels pour rompre le dispositif russe, l’un d’eux retient l’attention des états-majors occidentaux : la région centrale de Zaporijjia. Reprendre le contrôle de la centrale nucléaire serait « un game changer », dit-on, avec un impact géographique et énergétique. Mais comment s’affronter sans mettre en danger les installations ? Les Occidentaux négocient depuis plusieurs semaines avec les Russes et les Ukrainiens pour délimiter une zone de protection. Il faut aussi convaincre les uns de ne pas placer de matériel militaire dans le périmètre de la centrale et les autres de ne pas bombarder. Des mises en garde ont été adressées à Kiev.
Stratégiquement, Zaporijjia serait un verrou avant d’autres objectifs. La Crimée ? Les autorités ukrainiennes seraient plus prudentes en privé qu’en public sur ce territoire annexé en 2014 mais que la Russie considère comme un intérêt vital. Marioupol ? Reprendre la ville martyre serait un symbole de victoire. Elle isolerait la péninsule. Une autre hypothèse verrait l’Ukraine chercher à frapper la Russie en profondeur en Crimée ou sur son territoire comme elle l’a fait avec des attaques par drone contre la base d’Engels. « Pour gagner la guerre contre la Russie, l’Ukraine doit frapper le sol russe, ce qu’elle ne fera pas », a souligné le général Clermont, ancien directeur de la sécurité aéronautique, lors d’une audition au Sénat, en décembre. « Dès lors, elle ne peut pas gagner la guerre », a-t-il conclu.
Toutes les hypothèses se heurtent à la problématique des matériels et des munitions. L’Ukraine n’en reçoit de ses soutiens occidentaux qu’en quantité fatalement limitée. Sa capacité à mener aujourd’hui une offensive est réduite. Mais la Russie a elle aussi dû ralentir le rythme de ses bombardements d’artillerie. Elle ne détient pas « les stocks suffisants pour lancer des opérations offensives de grande ampleur », souligne le centre de réflexion Institute for the Study of War dans son dernier rapport sur le conflit. « Les Russes sont dans une logique de durée », nuance le général Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. « Ils font tourner leurs usines. Il y aura peut-être une nouvelle mobilisation. Le rapport pourrait leur redevenir favorable », dit-il. Vladimir Poutine n’a pas renoncé à ses ambitions, y compris celle de marcher sur Kiev. Dans un entretien à LCI, diffusé dimanche, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a craint une « massification » du conflit par la Russie. Tous les scénarios des Ukrainiens intègrent cette course contre la montre. Pour passer à l’action, ils n’ont que quelques semaines devant eux.