Les factions et tribus libanaises semblent avoir mal compris l’esprit de l’accord de Doha. Certaines d’entre elles avaient naïvement cru qu’elles pouvaient tout à loisir s’employer à étouffer leurs dissensions intestines, voire à entamer de vraies réconciliations. L’assassinat du druze Saleh Aridi est venu à point nommé les rappeler à l’ordre et leur signifier que si la guerre civile n’était pas permise, il n’était nullement souhaité que les clivages disparaissent.
Halte là ! semble dire l’assassin. Ne vous emballez pas trop, car la crise n’est pas encore terminée. D’autres échéances vous attendent et l’heure des embrassades finales n’a pas encore sonné. En un mot, aimez-vous un peu si cela vous chante, maire gare aux effusions et ne vous amusez surtout pas à aller plus vite que la musique et à vouloir régler par vous-mêmes vos propres conflits !
Tel est le message de l’assassin. Il tenait absolument à faire comprendre aux petits comparses libanais qu’il lui revient à lui, et à lui tout seul, de peser sur les évènements, ou du moins à en infléchir le cours. Il donne ainsi la seule bonne interprétation de l’accord de Doha qui visait avant tout à empêcher un embrasement général entre sunnites et chiites, à sceller la victoire du Hezbollah sur ses adversaires locaux, mais nullement à régler la crise qui secoue le pays depuis bientôt quatre ans.
On comprend parfaitement le « pas de deux » que Walid Joumblatt cherche à exécuter avec son petit rival Talal Erslan. Il est le seul à avoir digéré sa défaite et à en avoir tiré les conséquences. L’équilibre des forces ayant durablement basculé en sa défaveur, il cherche en toute logique à se « repositionner » et à s’ouvrir tous azimuts dans l’espoir de minimiser ses pertes et de sauver ce qui peut encore l’être de ses « meubles » druzes.
Son petit rival qui se voyait offrir le beau rôle n’était pas contre la « réconciliation », il s’y est même engagé sans trop se faire supplier. Privé depuis une éternité d’un rôle « national », il ne pouvait que se réjouir de la main tendue par Walid Joumblatt, d’autant qu’il avait reçu la bénédiction du parti khomeyniste libanais qui cherchait par tous les moyens à fuir la « fitna » dont on l’accusait après sa folle équipée beyrouthine et qui risquait d’entacher la « sacralité » de ses armes.
Saad Hariri, de son côté, a voulu aussi jouer au « réconciliateur suprême ». Il y a réussi un peu grâce à la ferme insistance de ses mentors saoudien et égyptien qui cherchaient désespérément à colmater les brèches dans la tribu sunnite. Ces brèches commençaient à devenir assez béantes et auguraient d’un retour triomphal du pompier pyromane syrien, sous le prétexte fallacieux de vouloir aider le Liban à mater la dissipation intégriste.
Cet accès de réconciliation aigue commençait à faire boule-de-neige et devenait par trop alarmant pour les puissances régionales. Pour siffler la fin de partie, il fallait un « bel » assassinat, un assassinat inédit qui frappe les esprits. C’est la raison pour laquelle la victime désignée appartient pour la première fois au camp qui a jusque-là été épargné. Le message visait cette fois tout le monde, aussi bien les ennemis que les amis.
Les acteurs libanais ont bien reçu le message et ils l’ont bien compris. Il faut s’aimer un peu, pas beaucoup et très modérément. Ils savent désormais ce qu’ils ont à faire, mais ils le feront à leurs risques et périls !