Dans la capitale libyenne, où le gouvernement accusé d’être proche des islamistes n’est pas reconnu par la communauté internationale, le verdict du tribunal qui a jugé Saïf al-Islam est considéré comme illégal.
Pas de surprise. Neuf des trente-sept accusés dans le procès des kadhafistes ont été, mardi, condamnés à mort par un peloton d’exécution à Tripoli. Parmi eux : Saïf al-Islam, fils préféré de Muammar al-Kadhafi, Abdallah al-Senoussi, ancien chef du renseignement militaire et véritable homme des basses œuvres du régime, Bouzid Dorda, ex-responsable de l’espionnage libyen ou encore Baghdadi al-Mahmoudi, Premier ministre de la Jamahiriya en 2011. Ces inculpés aux visages émaciés, aux rides profondes et aux cheveux rasés ont, entre autres, été reconnus coupables d’avoir incité aux meurtres, enrôlé des mercenaires, favorisé la discorde entre les tribus ainsi que de corruption avant et pendant la révolution. Huit autres accusés ont été condamnés à la prison à vie, quatre ont été innocentés et un autre devra être suivi dans une institution médicalisée. Le reste des condamnés devra purger des peines de prison de cinq ans minimum. A l’annonce de sa condamnation à mort, Jibril Kadiki, un général proche de Saïf al-Islam, s’est évanoui et a dû être sorti de la salle d’audience par deux gardes pendant que le juge continuait d’égrener les sentences. Un autre accusé, également condamné à la peine capitale, a attendu que le juge termine pour se lever à l’intérieur de la cage réservée aux inculpés pour s’écrier : «Frères musulmans, Al-Qaeda, ce n’est pas la justice.» Dans sa combinaison bleue de prisonnier, Abdallah al-Senoussi est resté les bras croisés, sans expression particulière, tandis que Bouzid Dorda arborait un sourire en coin, surtout destiné aux journalistes. Par deux fois au moins durant les quinze mois qu’a duré le procès, Baghdadi al-Mahmoudi, qui souffrirait d’un cancer selon sa famille, s’est plaint d’avoir été torturé. Ses avocats tunisiens, qui n’ont pas eu le droit de plaider, avancent des cas d’empoisonnement alimentaire et d’inhalation de gaz. Lors de la précédente audience, le 20 mai, Bouzid Dorda avait raconté à Libération que son frère avait été jeté du deuxième étage de la prison par des gardes «parce qu’il refusait de renier Kadhafi». Au sortir de l’audience, Ali Kabar, l’un des avocats de Baghdadi al-Mahmoudi, a assuré que son client ferait appel : «Nous n’avons pas pu présenter de témoins durant les audiences car ils avaient trop peur de venir à Tripoli. Le jugement est arrivé trop vite [il y a eu une trentaine de séances de quatre heures chacune depuis le début du procès, en avril 2014, ndlr], nous n’avons pas eu le temps d’étudier les 4 000 pages du dossier.»
«Le verdict n’est pas une surprise»
Pour l’occasion, la rue du tribunal était protégée par des voitures blindées. Des policiers antiémeute avec casques et boucliers étaient présents pour dissuader tout débordement. Un dispositif intimidant qui s’est révélé inutile. Comme toutes les audiences précédentes, hormis la première, celle-ci s’est déroulée dans l’indifférence. «Kadhafi, c’est fini depuis plus de quatre ans, explique Ahmed, un client d’un grand café en centre-ville. On a d’autres problèmes : il n’y a plus d’argent, on se bat partout et il y a l’Etat islamique, aussi. Senoussi et les autres, ils sont coupables, c’est sûr. Le verdict n’est pas une surprise.» Reste le mystère Saïf al-Islam, qui n’est pas paru en public depuis des mois. Capturé par des brigades de la ville de Zintan en novembre 2011, le fils Kadhafi, qui est également demandé par la Cour pénale internationale, n’a jamais comparu physiquement à Tripoli. Au mieux, il a été en liaison par vidéoconférence, ce qui ne s’est pas reproduit depuis juin. Un mois plus tard a éclaté la bataille de Tripoli qui a provoqué la scission politique du pays : d’un côté, le gouvernement de Tripoli, accusé d’être proche des islamistes, et de l’autre, celui de Bayda, à l’est du pays, qui est soutenu par la communauté internationale. La ville de Zintan, également du côté de ce dernier, refuse de collaborer avec la capitale libyenne car elle considère la justice aux mains de l’autorité ennemie. Le ministère de la Justice de Bayda a affirmé que le tribunal de Tripoli était illégal et que les juges travaillaient «sous la contrainte». Le procureur du procès dément toute interférence politique : «Nous sommes totalement indépendants des deux gouvernements. Nous dépendons du Haut Conseil de justice qui n’est rattaché à aucun des deux ministères de la Justice. Si nous récupérons Saïf al-Islam, il aura le droit à un nouveau procès.» A titre personnel, il espère que les exécutions ne seront pas mises en œuvre avant que ne soit formé un gouvernement d’union nationale. Human Rights Watch regrette l’issue de ce procès : «La Libye a raté une opportunité importante de faire appliquer la justice durant cette période post-kadhafiste.» L’ONG demande à la Cour suprême de réviser le jugement.